Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bacon, de la « forme » du phénomène. Par « forme » Bacon entend la qualité qui existe toujours quand le phénomène existe, qui manque toujours où il manque, qui croît ou décroît dans la même mesure. Après avoir éliminé les qualités qui ne satisfont pas à ces exigences, nous retenons la forme. En examinant la nature de la mort, nous devons faire abstraction de la question de savoir si elle a été causée par l’immersion, l’incendie, le poignard, l’apoplexie, l’inanition, etc. Pour la chaleur, nous devons faire abstraction des modes spéciaux de génération de la chaleur, de la composition des matières chauffées, etc.

Quand souvent on accuse Bacon de ne voir dans l’induction qu’une accumulation de matériaux, il faut bien considérer qu’il attache une grande importance à la formation d’hypothèses provisoires pour faciliter la vue d’ensemble et l’orientation. La première explication n’est qu’un ballon d’essai, la « première vendange », une simple épreuve (Nov. Org. II, 20). On la fait parce qu’il est plus facile de découvrir la vérité au moyen d’une erreur, pourvu qu’elle soit examinée avec clarté, que par une accumulation chaotique de matériaux. C’est un des aphorismes les plus fameux de Bacon : citius emergit veritas ex errore quam ex confusione. À titre d’hypothèse provisoire Bacon pose par exemple pour la « forme » de la chaleur cette proposition : chaleur est mouvement. — Mais cette hypothèse provisoire une fois posée, sa méthode inductive continue en s’en servant comme d’un guide. Il s’agit de trouver ou de provoquer par la voie de l’expérience des cas de nature à éclairer et à fonder avec plus de précision l’opinion qu’on a avancée. Bacon énumère une foule de ces « instances prérogatives ». Il mentionne entre autre des cas (qu’il désigne du nom de instantiæ solitariæ), présentant la qualité cherchée dans un état de choses qui n’a absolument rien de commun avec tous les autres cas où elle apparaît, ou encore qui ne la présente pas, bien qu’il ait par ailleurs tous points communs avec les cas où elle apparaît. Ce sont là les méthodes nommées plus tard par Stuart Mill méthode de concordance et de différence. Par instantiæ viæ, il désigne les cas et les expériences qui nous montrent le phénomène « en chemin », dans sa formation, pendant