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sensuum) si ceux-ci nous montrent les choses autrement que la science ne les explique. De plus, il n’a pas examiné plus en détail la possibilité de nettoyer l’esprit, pour en faire une table rase. Nous ne pouvons cependant pas, alors même que nous les découvririons, supprimer les conditions et les formes qui sont au fond de notre individualité originale et de la nature humaine commune à tous. Ici apparaît une contradiction chez Bacon. Ainsi que nous l’avons vu, il est en effet convaincu que la matière, une fois préparée, est élaborée par l’esprit involontairement et conformément à notre propre faculté interne (vi propria atque genuina). Mais n’est-t-il rien ajouté ici à la matière — et de quel droit cette addition ? Quelle garantie avons-nous que la faculté interne de notre esprit nous permette de voir les choses, non plus dans leurs rapports avec nous-mêmes, mais dans leurs rapports avec l’univers ? Comment nous convaincre que nous sommes réellement parvenus à l’analogia universi ? — C’est ici que la théorie de la connaissance devait plus tard prendre racine. Bacon en est le précurseur par sa théorie des idoles. Intéressante est surtout la pensée, que l’hypothèse, dont partaient si tranquillement Copernic, Bruno et Galilée, et d’après laquelle la nature suit toujours les voies les plus simples, pouvait être d’origine purement humaine et subjective, en sorte qu’il fallait en examiner la légitimité. —

La méthode à suivre dans l’élaboration de la matière est l’induction. On avait, il est vrai, appliqué cette méthode depuis longtemps. Mais Bacon trouve dans l’emploi qu’on en fait d’ordinaire un défaut essentiel qu’il range parmi les idoles de la tribu. Il consiste à se contenter des cas où un phénomène s’est montré et à les croire suffisants pour fonder une connaissance de la nature du phénomène. Bacon appelle cette sorte d’induction induction par simple énumération (inductio per enumerationem simplicem). Il demande de la compléter par l’examen des « instances négatives », c’est-à-dire des cas où le phénomène ne se produit pas, bien que les conditions soient très proches de celles où il se produit. Il demande en outre une échelle graduée qui indique dans quelles conditions le phénomène croît ou décroît. Par ce procédé, nous pouvons arriver à nous faire une conception provisoire de la nature, ou comme dit