Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du marché » (idola fori). Les mots sont formés selon les besoins de la vie pratique et conformément à l’intelligence populaire (ex captu vulgi), et souvent les lignes de démarcation qu’ils établissent entre les choses ne peuvent pas être suivies par la pensée exacte. On forme des mots pour des choses qui n’existent pas le moins du monde, et par contre les termes manquent pour désigner des choses réellement offertes par l’expérience. De là beaucoup de discussions de mots.

Les trois premières classes d’idoles tenaient à la nature de l’homme ; la dernière classe, « les idoles du théâtre » (idola theatri) vient de l’influence des théories transmises. Ces théories peuvent être imaginées avec beaucoup de génie et de rigueur et n’en pas moins manquer leur but. Quiconque suit le droit chemin, avec ses aptitudes moindres arrivera plus vite et plus sûrement au but que le meilleur coureur dès que celui-ci a quitté la bonne voie. L’habileté du coureur fera même qu’il s’éloignera de plus en plus du but. La méthode empirique que Bacon oppose avec chaleur aux brillantes spéculations de l’époque précédente, ne laisse pas — d’après sa conception — beaucoup de place à la sagacité et à la force de l’esprit. La bonne méthode aplanit les différences entre les esprits. Quand il faut tracer un cercle à la main, les différences d’aptitude peuvent avoir leur importance, mais quand on se sert d’un compas ces différences disparaissent. — Cette quatrième classe d’idoles est difficile à distinguer de la seconde, car Bacon fait coopérer la lecture, la tradition et l’autorité à la formation de la nature individuelle.

La théorie des idoles de Bacon est un brin de philosophie critique, une tentative faite pour discerner ce qui appartient uniquement à la propriété subjective de la connaissance, de ce qui fait partie de l’univers. Nous avons trouvé cette idée en germe chez Montaigne, de Cusa, Bruno et Galilée. Malheureusement Bacon n’a pas les vues grandioses qui se font jour notamment chez Galilée au moyen de la théorie, empruntée à Copernic, par laquelle il insiste sur la relativité du point où se tient l’observateur. Bacon est porté à regarder les conceptions que nous formons involontairement comme absolument mensongères. Ainsi, c’est pour lui une illusion des sens (fallacia