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logia universi). Notre conception, notre perception et notre pensée ne peuvent pourtant pas être la mesure des choses ! Nous sommes notamment portés à supposer un ordre et une régularité plus grands dans les choses que ceux qu’on peut réellement trouver. Nous supposons l’uniformité (aequalitas) de notre propre esprit dans les choses mêmes. Et ce qui contredit nos opinions une fois conçues, nous sommes portés à le négliger. On passe facilement sur les cas négatifs quand on tire les conséquences des expériences. Nous attachons plus d’importance à ce qui agit soudainement et immédiatement sur nous, et nous sommes enclins à attribuer aux objets plus éloignés la même qualité. D’un autre côté nous transportons aussi l’inquiétude et l’aspiration constante de notre esprit dans la nature, de sorte que nous ne voulons pas mettre de terme à son extension ou à la série de ses causes. Ou bien on se tranquillise en trouvant l’explication dans une fin et l’on établit des causes finales (causæ finales), explication manifestement tirée de notre propre nature et non de celle de l’univers. Enfin nos résultats sont très facilement déterminés par nos sentiments et nos appétits, par notre espérance ou notre crainte, et souvent cette influence du sentiment sur la connaissance passe absolument inaperçue.

Une autre classe d’illusions provient de la nature individuelle de chacun de nous en particulier. Bacon les nomme (d’une image empruntée à Platon (« idoles de la caverne ») idola specus). L’individualité de chaque homme est en effet comme une caverne d’où il contemple l’univers et où la lumière de la nature se brise d’une manière particulière. Ces illusions de l’individualité sont déterminées par les dispositions originales, par l’éducation, les relations et la lecture. Quelques-uns sont plus enclins à s’arrêter aux diversités des choses, alors que d’autres sont plus portés à en rechercher les analogies — quelques-uns aiment surtout le passé, d’autres se tournent de préférence vers la nouveauté — ceux-ci cherchent les éléments des choses, ceux-là s’en tiennent aux phénomènes complexes, tels qu’ils sont immédiatement donnés.

Bacon regarde comme les pires illusions celles qui sont dues à l’influence des mots sur la pensée. Il les appelle « idoles