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l’objet principal, avec ce but devant les yeux, qui seul peut la rendre vraiment fructueuse : rendre la vie humaine plus riche et meilleure. En outre on usait de fausses méthodes. On était d’avis que l’esprit humain est bien trop sublime pour s’occuper d’expériences, d’autant plus qu’on lui attribuait la faculté de sécréter la vérité de son propre fond. On se contentait de la tradition. On avait un respect exagéré du passé et de ses grands penseurs, que l’on appelait les anciens, bien que ce soit nous les anciens, qui avons derrière nous une expérience bien plus grande qu’eux. Puis vint s’ajouter un faux zèle religieux qui ne vit pas que la science de la nature nous enseigne la puissance de Dieu, de même que la religion nous enseigne la volonté de Dieu. La foi doit nous rendre l’innocence perdue par la chute, ainsi la science doit nous rendre la puissance alors perdue sur la nature. Mais ce sont la pusillanimité et le peu de confiance dans sa force propre qui ont le plus nui. On manquait d’espérance et du courage de s’imposer de grandes tâches.

Maintenant nous avons le droit d’avoir bon courage, puisque nos propres défauts sont causes de l’imperfection dont nous souffrons. La bonne méthode doit pouvoir se trouver. Elle ne va pas comme l’araignée tirer tout d’elle-même, non plus comme la fourmi amasser seulement des matériaux, mais à la façon de l’abeille elle recueillera et élaborera les matériaux. La matière une fois recueillie, si l’on est à même d’écarter les préjugés et les opinions préconçues, la bonne explication de la nature ne sera pas longue à trouver. L’opération la plus importante de toutes, c’est donc une accumulation de faits, la plus riche et la plus universelle possible. L’esprit humain les élaborera et les expliquera ensuite spontanément, involontairement. — En affirmant ainsi l’activité spontanée de l’esprit, qui entre en vigueur dès qu’il a une matière en présence, Bacon est peut-être influencé par Ramus, qu’il mentionne avec gratitude, tout en lui reprochant d’avoir une méthode par trop simple. La différence entre eux, c’est que Bacon a bien vu qu’il faut des données expérimentales considérables pour que la faculté imaginative et le jugement puissent fructueusement s’exercer. La plus lourde faute que l’on puisse commettre d’après Bacon, c’est d’avancer trop vite, de courir sus aux principes généraux,