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gouvernement et encourut par là la disgrâce définitive de la reine. Ses liens d’amitiés avec Essex (s’il peut être ici question d’amitié) l’aidèrent pendant un certain temps à sortir d’embarras d’argent fort gênants. Mais lorsqu’Essex fut sur le point d’être renversé, Bacon l’abandonna. Bien plus, pendant le procès intenté à son ancien ami, Bacon offrit même à la reine ses services, qui furent acceptés. Et lorsqu’Essex en désespoir de cause essaya de provoquer un soulèvement, Bacon se porta témoin contre lui et écrivit après son exécution une brochure pour justifier la façon d’agir du gouvernement, zèle qui ne s’explique pas par le souci de laisser la justice suivre son cours, mais que l’on comprend en lisant la remarque suivante dans un Essay (of followers and friends), qui fut imprimé en 1597, peu d’années par conséquent avant la mort d’Essex : « L’amitié est chose rare en ce monde, surtout entre égaux. L’amitié que l’on peut trouver existe de supérieurs à inférieurs, là où le sort de l’un comprend celui de l’autre. » L’ « amitié » de Bacon pour Essex était de cette sorte et il prit à temps ses dispositions pour que le sort de son « ami » n’englobât pas non plus le sien, à son grand désagrément. Ne nous demandons pas si telle est vraiment la conduite ordinaire des hommes, et passons outre. William Temple, mentionné plus haut, qui avait été le secrétaire d’Essex, ne se conduisit pas en tout cas de cette façon, aussi dut-il prendre le chemin de l’exil.

Malgré tous les efforts qu’il fit pour s’accommoder aux circonstances, Bacon n’eut aucun succès sous la reine Élisabeth. Il fut plus heureux sous Jacques Ier ; il sut surtout s’insinuer par ses flatteries auprès des différents favoris du roi. Les mauvais côtés de son caractère eurent alors des conséquences historiques funestes et considérables. Il avait la conviction que le roi devait condescendre aux justes désirs de la Chambre basse, mais qu’il devait employer sa souveraine puissance à faire aboutir la codification des lois et la colonisation de l’Irlande, et à prendre une attitude énergique vis-à-vis de l’étranger, en se mettant à la tête d’une ligue protestante. L’attention populaire serait ainsi détournée des questions de constitution. Mais avec le roi versatile et faible, et gonflé du sentiment de son pouvoir, il