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qui lit avec attention ses Essays et ses journaux, publiés il y a quelques années. Il y a été si sincère que nous savons maintenant à quoi nous en tenir sur son compte, surtout en rapprochant de ces confessions directes ou indirectes les traits caractéristiques qui ressortent de ses écrits philosophiques.

François Bacon naquit en 1561. Il était fils de Nicolas Bacon, garde du grand sceau de la reine Élisabeth, et neveu du premier ministre Burleigh. Après avoir étudié à Cambridge, où il eut probablement Digby pour professeur de scolastique, il accompagna une ambassade à Paris. La perspective brillante qui s’ouvrait à lui s’évanouit à la mort prématurée de son père. En sa qualité de fils cadet, il dut se frayer lui-même son chemin ; son puissant oncle ne voulut rien faire pour lui. Un violent désir de puissance, de richesse et d’honneur l’animait, sans être toutefois son unique mobile d’impulsion. Il dit dans un de ses premiers traités : « Le plaisir des sentiments n’est-il pas plus grand que le plaisir des sens, et le plaisir de la pensée n’est-il pas plus grand que celui des sentiments ? Le plaisir de la pensée n’est-il pas le seul dont la jouissance n’engendre pas le dégoût, et n’est-ce pas la connaissance qui délivre l’âme de toute inquiétude ? » Le désir impétueux de connaissance et la recherche de la puissance, de la richesse, et des honneurs ne marchaient pas seulement de pair chez lui — il justifiait ce dernier ressort en le subordonnant au premier : il ne recherchait la puissance et la richesse que pour acquérir les moyens d’exécuter les grands projets scientifiques qu’il méditait — et qui ne consistaient rien moins qu’en un renouvellement complet de la science (instauratio magna). — Ici apparaît une troisième face, considérable, de son caractère, attestée surtout par ses écrits : son humeur extrêmement vive et mobile et le sentiment non moins grand de sa valeur. Il voyait devant lui une œuvre considérable qui demandait de grandes ressources. Il s’excuse ainsi des subterfuges moraux dont il usa ; l’infamie même se dissipait pour lui dans l’éclatante lumière où il apercevait le terme de ses efforts. Pour pouvoir exécuter son projet, il lui fallait du loisir et les moyens de recueillir des observations et de faire des expériences. Il se jeta donc dans la carrière politique. Mais, chez lui, comme chez Machiavel, le