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œuvres, il nous faut nous arrêter un instant à ses devanciers du xvie siècle.

Pierre de la Ramée (Petrus Ramus) sortit du sein des humanistes. Vers le milieu du xvie siècle il soutint une lutte violente contre la logique d’Aristote. Il ne faisait, il est vrai, que continuer par là les efforts38 faits par le siècle précédent pour rapprocher davantage la logique de son application pratique, notamment de l’application à la rhétorique. Il déclare lui-même qu’il a eu pour maîtres Agricola et Sturm, les humanistes et pédagogues allemands. Mais le courant tout entier a en lui son représentant le mieux doué et le plus parfait au point de vue de la forme ; il mena la lutte avec une énergie qui contribua grandement à ébranler la toute-puissance de la scolastique dans les Universités de l’Europe occidentale.

Ramus naquit en 1545 dans le nord-est de la France ; il était fils de charbonnier. Il dut souvent s’entendre dire par ses adversaires — selon les procédés polémiques alors en usage — qu’il était fils de charbonnier. Mais il n’en rougissait pas. Non parce que sa famille, bien que déchue, appartenait à la noblesse ; mais parce que, grâce à son désir ardent de s’instruire, il s’était élevé de ses propres forces à une haute situation scientifique. Il commença par être domestique chez un riche étudiant de Paris. La besogne journalière accomplie, il étudiait la nuit. La logique scolastique l’attira d’abord ; mais elle ne le satisfit pas et il se mit à étudier avec enthousiasme les Dialogues de Platon qui lui semblaient recéler à un degré bien supérieur la vivante et réelle activité de la pensée. Dans sa thèse de maître-ès-arts (1536) il soutint l’assertion radicale que tout ce qu’Aristote a dit est faux. L’exaspération des Aristotéliciens était grande ; mais elle s’accrut encore après la critique détaillée qu’il fit de l’ancienne logique. L’Université demanda la suppression des livres de Ramus, alléguant que c’était un ennemi de la religion et de la sécurité publique, qu’il inspirait à la jeunesse un amour dangereux de la nouveauté. François Ier interdit alors par un édit les livres de Ramus et lui défendit en même temps d’attaquer Aristote et autres auteurs anciens ! Mais Ramus recouvra la liberté d’enseignement sous Henri II ; il professa alors au Collège de France, où sa parole réunit jusqu’à deux mille audi-