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dire à Salviati, le principal personnage du dialogue : « L’activité inépuisable qui règne dans votre arsenal, Messieurs de Venise, me semble offrir aux penseurs une ample matière à spéculations, surtout dans le domaine de la mécanique, car de nombreux ouvriers fabriquent continuellement des machines et des ustensiles nouveaux. » Sagredo répond : « Vous avez parfaitement raison, monsieur, et comme je suis curieux de ma nature, je viens souvent ici, et l’expérience que possèdent ceux que nous appelons « les premiers » en raison de leur remarquable supériorité, m’a souvent révélé le rapport de cause à effet de phénomènes merveilleux que l’on tenait auparavant pour inexplicables et incroyables. »

Le développement de la nouvelle conception du monde eut aussi en ce sens une influence préparatoire. Il poussa à rechercher un autre enchaînement naturel que celui immédiatement offert par la perception des sens et il devait conduire à la question de savoir par quelles forces et par quelles lois le système du monde, que la pensée construisait sur le fondement de la perception, conservait sa cohésion et était maintenu en activité. La nouvelle conception du monde ne répondit pas elle-même à cette question, ou si elle l’essaya, ce fut d’une manière fantastique, poétique, animiste. « C’était sans doute un progrès considérable que Telesio ait substitué à la forme d’Aristote la notion de force. Il était ainsi établi que l’explication ne doit pas être cherchée dans la qualité, dans la forme parfaite du phénomène, comme pour l’œuvre d’un artiste que l’on comprend lorsqu’on découvre le modèle qui a été présent à son esprit. Mais la notion de force est trop vague et trop stérile tant qu’elle ne se base pas sur la connaissance du rapport régulier des phénomènes. Si l’on sait d’après quelle loi le phénomène B succède au phénomène A, on sait aussi quelle force et combien de force il faut attribuer à A ; car force ne signifie alors que les conditions contenues dans A pour que B se produise. Mais pour faire cette découverte, la perception et la description ne suffisent pas. Il faut remonter aux relations les plus simples et examiner par voie expérimentale les conditions dont dépend l’apparition des phénomènes. Il ne s’agit plus seulement d’une image d’ensemble. Il faut que l’image soit analysée dans ses traits pris un à un