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duit du travail selon son besoin et son mérite. Le hasard ne doit pas régner, qu’il s’agisse de procréation, de vocation ou de répartition. Cela aurait tout simplement pour conséquence l’injustice et la misère de quantité d’hommes. « Présentement la ville de Naples compte 70 000 âmes. Sur ces 70 000 hommes, c’est à peine si 10 ou 15 000 travaillent, et le travail exagéré et continuel de tous les jours les mine et les tue, pendant que les autres s’adonnent au loisir ou à l’apathie, à l’avarice, aux désirs maladifs, à la volupté et à la sensualité. Mais dans la Cité du soleil où les rangs de service, les arts, les travaux et les occupations sont répartis entre tous les hommes, c’est à peine si chacun a besoin de travailler quatre heures par jour. Le reste du temps, il peut l’employer à acquérir des connaissances d’une manière agréable, à discuter, à lire, à raconter, à écrire, à se promener ou à exercer joyeusement son esprit et son corps. »

Ce tableau de l’avenir dont Campanella avait la vision alors qu’il était dans son cachot, « enchaîné et pourtant libre, solitaire mais non seul, silencieux et poussant cependant son cri de détresse » — ainsi qu’il dit dans un de ses sonnets, offre un certain contraste avec la conception philosophique, politique et religieuse qu’il développe dans ses autres écrits. Dire que l’individu doit dans la « Cité du soleil » renoncer à tout jamais à trouver son propre chemin pour aller au but, ne concorde pas avec le relief accusé qu’il avait donné à la conservation personnelle. Campanella oublie entre autres qu’il a considéré formellement la reproduction comme une forme de la conservation de l’individu ; et il prétend ici que la conservation de l’espèce seule importe. Mais l’opposition est encore plus singulière entre la « Cité du soleil » et la théocratie à laquelle vise Campanella dans ses écrits philosophiques et politiques. Toute hiérarchie et toute autocratie ont disparu. Il ne reste même à vrai dire pas de place pour la religion positive. La religion « cachée » semble suffire, et il va même jusqu’à déclarer que le christianisme ne fait à vrai dire que sanctionner ce que l’on croit admissible conformément à la pensée naturelle, — sanction qui ne paraît plus nécessaire, étant donnée la perfection de l’ordre social qui règne dans la Cité du soleil. On