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l’Espagne avait pour tâche (ainsi qu’il est spécialement développé dans l’ouvrage De la monarchie espagnole) de soumettre à l’Église les populations des continents étrangers, tandis qu’il était du devoir du « très chrétien » roi de France (d’après la préface de la Universalis philosophia) de dompter les hérétiques d’Europe. Dans la politique, comme plus haut dans la conception de la nature, se montre l’attitude réactionnaire de Campanella. Il est notamment en opposition directe avec Machiavel qu’il regarde (surtout dans l’Atheismus triomphatus 1636) comme le représentant du principe du mal.

Mais, chose remarquable, ici comme dans le domaine de la philosophie de la nature, Campanella subit dans une très grande mesure l’influence des idées qu’il veut ou qu’il lui faut précisément combattre. Il fit paraître en supplément à son éthique et à sa politique sa description idéale de l’avenir La cité du soleil (Civitas solis). Elle vit le jour dans le cachot, alors que l’oppression du moment pesait lourdement sur lui. Un siècle auparavant Thomas Morus, chancelier d’Angleterre, et, presque en même temps que Campanella, Bacon de Verulam avaient érigé également un idéal de société humaine ; tous trois avaient trouvé un modèle commun dans l’ « État » de Platon. Campanella décrit un ordre social où la science, c’est-à-dire la science de la nature et la philosophie, règne, et où le travail matériel rentre dans ses droits. Il n’y a pas de clergé et pas de noblesse. Les gouvernants sont ceux qui ont reçu la meilleure instruction théorique et pratique. Les habitants de la Cité du soleil trouvent ridicule la pensée que les artisans ne puissent former une classe tout aussi noble que les autres membres de la société. Il n’est permis ni propriété privée, ni demeure isolée, ni vie privée au sein de la famille, car ce serait favoriser l’égoïsme et affaiblir le patriotisme ardent qui anime les habitants de la Cité du soleil. Les autorités règlent les rapports sexuels d’après des considérations physiologiques, afin que l’État obtienne des citoyens bien portants et bien doués. C’est l’espèce, pensent les citoyens du soleil, et non l’individu qui doit se conserver par la reproduction ! L’orgueil est regardé comme le pire des vices. Chacun est chargé de la tâche la mieux proportionnée à ses facultés et reçoit du pro-