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infini dont sa propre existence est isolée par le mélange du Non-Être. Campanella rattache ainsi étroitement toute morale et toute religion à la conservation personnelle. C’est dans la religion que les rapports sont le plus intimes : l’amour inconscient ou « caché » de soi-même, qui est au fond de tout amour pour autre chose, se trouve d’après son essence même être aussi l’amour de l’Être infini qui se fait sentir dans l’existence bornée de toutes choses et ce n’est qu’en participant à cet amour que nous pouvons parvenir à la félicité éternelle. Voilà pourquoi il y a une religion primitive, « cachée » (religio abdita) dans tous les hommes, de même qu’une science « cachée » et une inclination « cachée », et à vrai dire elle ne fait qu’un avec celles-ci. Les diverses religions positives peuvent se tromper) mais non cette religion intérieure, primordiale qu’elles supposent toutes. La nécessité d’une révélation découle uniquement des diversités et des erreurs que présentent les religions positives (religiones superadditæ).

Dans son éthique individuelle Campanella rappelle absolument Telesio. Comme lui, il fait de l’élévation (sublimitas) le comble de toute vertu. Elle exprime la vraie noblesse, la conservation personnelle de l’âme, dédaigne l’honneur du monde et dans sa recherche de la liberté pour elle et pour autrui ne se dément ni dans les plus affreuses tortures, ni dans la plus longue réclusion. Dans son éthique sociale il examine les diverses sociétés, depuis les plus petites, la famille et le ménage, jusqu’à l’empire universel, en passant par la commune et par l’État, l’empire étant la société humaine universelle dont le Pape est le guide suprême et dont le Sénat est formé par les princes laïques. Campanella s’occupait ardemment de politique. Peut-être concevait-il dans sa jeunesse des projets hardis sur l’avenir de sa patrie et se croyait-il lui-même appelé à jouer le rôle de réformateur religieux et politique. Il règne encore une grande obscurité sur la conjuration à laquelle il semble avoir pris part. Des paroles contenues dans sa description de l’homme sublime pourraient laisser entendre qu’il avait formé de grands desseins qu’il ne voulait pas avouer. Quoi qu’il en soit, il projeta par la suite un empire théocratique universel s’étendant sur toute la terre, avec le Pape à sa tête ;