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réelle de nous-mêmes, non pas en nous dérobant à toute modification (car notre pensée ne saurait avoir conscience d’un état invariable), mais en considérant comment notre être se développe au moyen des changements et de nos actions. C’est ce que Campanella reconnaît en disant : « les multiples modifications voilent notre être primitif et nous transforment continuellement en de nouveaux êtres. C’est ce qui empêche la comparaison avec le passé, l’unité de notre être et par suite la connaissance de nous-mêmes ». Ici se trouve indiquée une autre espèce de connaissance du moi que celle, à demi-mystique, qu’il prétendait indépendante de toute modification. —

En toutes choses se manifestent non seulement la force et la science, mais encore l’inclination. C’est ce qui se traduit par la tendance qu’a toute chose à se conserver. La pierre veut rester pierre, et si on la jette en l’air, elle vient retrouver la terre où elle est à demeure. Les plantes et les animaux cherchent même au moyen de la reproduction une conservation personnelle qui s’étend au delà de l’existence de l’individu isolé. Campanella va même jusqu’à voir dans le besoin qu’ont la lumière et la chaleur de se répandre sur tout et dans tout, cette même tendance éternelle ou l’étant ! « amour » (amor) en activité. Et comme la force de se mouvoir soi-même est supposée par la force de mouvoir toute autre chose, et que la science de soi-même est supposée par la science de toute autre chose, ainsi l’amour de soi-même est supposé par l’amour de toute autre chose. Les formes particulières que prend l’amour par rapport à différents objets supposent l’amour « caché » (amor abditus), par lequel tout être conserve et maintient son existence propre. Le bonheur de l’homme, ainsi que celui de tout être, consiste dans cette conservation personnelle ; s’il consistait en autre chose, la conséquence en serait l’anéantissement volontaire. La vertu est la règle à suivre pour atteindre la fin suprême, la conservation personnelle complète ; la vertu est pour l’individu ce qu’est la loi pour la société. On peut atteindre de trois façons le but de ce monde : en conservant sa propre personnalité, en reproduisant sa vie dans ses enfants et en laissant à sa mort honneur et gloire. Une quatrième route conduit à la vie éternelle en Dieu, où l’homme participe à l’Être