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est une détermination, une modification spéciale de ma conscience et suppose celle-ci. Dans l’être infini seul la science originale de soi-même peut prendre un développement libre et clair, car les influences extérieures sont ici nulles. Mais pour les êtres finis, le précepte qu’il faut se connaître soi-même signifie que toute connaissance s’appuie sur notre sensation immédiate. Les sceptiques peuvent avoir raison en ce qui concerne toute connaissance dérivée ; mais celle-ci suppose toujours la conscience de nos propres états immédiats et de leurs modifications et cette conscience est une réalité qu’on ne saurait mettre en doute. Il est de notre savoir comme de notre pouvoir : si je puis soulever un fardeau, cela suppose que je puis soulever mon bras ; de même, je ne puis avoir quelque connaissance des autres choses que parce que je puis reconnaître que mon propre état est déterminé par ces autres choses. Je puis me tromper en expliquant mon état, mais je ne me trompe pas en disant que je le saisis d’une manière déterminée.

Campanella renvoie à Saint-Augustin, lequel a déjà montré que la conscience immédiate ne trompe pas. « Pour moi, dit Saint-Augustin, la chose la plus sûre de toutes, c’est que je suis. Si même vous niez que je sois, en disant que je me trompe, vous avouez par là même que je suis ; car je ne puis me tromper si je ne suis pas. » — Cette théorie fait aboutir Campanella au point qui grâce à Descartes devint le point de départ de toute la philosophie moderne. Il est vrai que la métaphysique de Campanella, où cette théorie est exprimée, ne parut qu’un an après le Discours de la méthode de Descartes, mais elle avait été sûrement déjà écrite en majeure partie du temps de sa réclusion. Du reste, l’idée de faire de la conscience immédiate la base de tout savoir se trouve déjà chez plusieurs penseurs de le Renaissance, chez Nicolas de Cusa, Montaigne, Charron et Sanchez (que nous n’avons pas encore eu l’occasion de mentionner). — Mais Campanella remonte encore plus haut. Sa science « cachée » est ce qu’on pourrait maintenant appeler science potentielle ; elle est bien plutôt possibilité de conscience que conscience réelle, d’ailleurs Campanella enseigne aussi qu’elle est constamment entravée par l’expérience externe. Nous pouvons toutefois acquérir une connaissance