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faut qu’elles se sentent. Il répète les arguments de Telesio en les développant avec plus de précision. Ce qui offre le plus d’intérêt, c’est sa remarque que la sensation ne saurait naître d’une action commune des éléments, vu que la formation d’une faculté ou d’une propriété tout à fait nouvelle serait une création du néant. Dans l’antiquité, on a au contraire allégué (Lucrèce), que la nature offre une foule d’exemples où le produit a d’autres qualités que les éléments constituants. Mais Campanella réplique que tous les cas de ce genre sont aussi pour nous une création du néant, car nous ne comprenons pas ce qui dans les éléments renferme la possibilité de la nouvelle propriété. Dire que la sensation naît d’éléments matériels, c’est la même création du néant que de dire que le matériel naît de l’immatériel. Ce qui dans les éléments contient la possibilité de la nouvelle propriété doit avoir une affinité de substance avec celle-ci (ejusdem rationis), sans que pour cela elle préexiste de la même manière qu’elle apparaît dans le résultat (eodem modo quo nunc). Ainsi conçue, l’idée de l’animation de toutes choses a une signification qui est absolument indépendante de l’animisme et qui n’acquiert tous ses droits que lorsque l’animisme fait place à l’explication mécanique de la nature. — Cependant Campanella se borne à relier de cette façon l’âme sensible ou matérielle seule avec le reste de la nature. La partie supérieure, spirituelle de l’âme est pour lui, comme pour Telesio, créée du néant.

La philosophie de la nature de Campanella se développe, ainsi que celle de Bruno, en toute une métaphysique, qui est elle aussi alliée à des idées religieuses. Tout ce qui est, apparaît comme force (potestas), savoir (sapientia) et inclination (amor). — Être signifie en premier lieu pouvoir, être capable de se faire valoir. La force se trouve à son degré et dans sa forme suprêmes, infinie dans la divinité, elle est bornée dans toute existence finie, chez laquelle la plénitude de l’Être est toujours limitée dans une mesure plus ou moins grande par le Non-Être : il n’y a rien que Dieu ne soit ; il se fait sentir en toutes choses par son essence, non en agissant au dehors (essentiando, non exterius agendo) — mais il est beaucoup de choses qu’un être fini n’est pas. La diversité des êtres finis