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croire que nous avons quelque connaissance de la forme d’existence dans laquelle nous passerons33.

À côté d’une foule d’idées où le poète prend le dessus sur le penseur et de spéculations allégoriques et arbitraires (en particulier dans l’ouvrage De monade) que nous n’avons pas citées ici parce qu’elles n’offrent plus aucun intérêt, la philosophie de Bruno nous présente une tentative, remarquable pour l’époque, de concilier une conception foncièrement idéaliste avec la conception scientifique de l’univers. Il est vrai que Bruno ne connaissait pas le fondement exact de ce système du monde que Galilée et Kepler posèrent les premiers ; mais dans plusieurs de ses idées il se rapproche d’eux.

d) Théorie de la connaissance.

La tendance prédominante de Bruno, c’est d’apprendre à connaître la nature. Et c’est pour lui la même chose que d’apprendre à connaître la divinité. Un progrès dans la connaissance de la nature est pour lui comme une révélation. De là son enthousiasme pour Copernic et pour Tycho-Brahé, et son zèle à approfondir les conséquences de leurs découvertes. La pensée, la raison ne sont pour lui que les moyens de trouver l’essence de la nature ; elles ne doivent pas se mettre, elles et leurs formes, à la place de la nature. Il blâme Platon et Aristote d’avoir établi des différences logiques, des oppositions et des distinctions de pensée, comme s’il y avait des oppositions réelles dans l’essence propre de la nature. C’est, ainsi qu’il le déclare à plusieurs reprises, la base de toute « connaissance naturelle et divine » que de distinguer entre opposition logique et unité réelle ; alors on n’est pas tenté — comme Aristote le fait par exemple en distinguant forme et matière — de diviser avec la raison ce qui conformément à la nature et à la vérité est un. La raison doit se régler sur la nature, mais la nature n’a pas à se régler sur la raison. D’après la conception de Bruno notamment il est absolument arbitraire de croire que dans la nature les contraires sont aussi nettement séparés que dans notre pensée. Dans la nature, les contraires se fondent insensiblement l’un dans l’autre, révélant ainsi une étroite affinité,