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dresserait pas dans l’histoire universelle comme le héros que nous connaissons maintenant. L’inquisition romaine avait été informée de son procès et demanda son extradition, d’abord parce qu’il s’était rendu coupable d’hérésies aussi graves, et ensuite parce qu’il s’était soustrait par la fuite à des accusations antérieures lancées contre lui à Rome et à Naples. Après quelque hésitation, le gouvernement vénitien l’extrada et un nouveau procès commença à Rome. On ne connaît des pièces de ce procès que des fragments isolés ; le reste a, paraît-il, disparu, on ne sait comment, des archives papales27. Aussi ne s’explique-t-on pas que Bruno ait été détenu plus de six ans à Rome. Tout ce que l’on en peut tirer, c’est que les inquisiteurs romains, parmi lesquels se fit surtout remarquer celui qui devait être plus tard le cardinal Bellarmin, montrèrent un zèle plus grand que ceux de Venise. On parcourut les livres de Bruno et l’on rédigea une liste de huit hérésies graves dont on exigeait la rétractation. En tête était la négation de la doctrine catholique de la Cène. Il est probable qu’on lui reprochait aussi l’opinion d’après laquelle il y a des mondes en nombre infini28. Cette opinion était hérétique, car elle semblait contredire la révélation, qui n’a pu se produire plus d’une fois. Au Moyen Âge, on avait pour la même raison trouvé hérétique la croyance aux antipodes. Aux vestiges qui nous sont connus des interrogatoires, on voit cependant que le Pape voulait réduire la rétractation exigée de Bruno aux propositions condamnées depuis longtemps déjà par l’Église ; les propositions ayant directement trait au système de Copernic devaient être laissées de côté. Mais Bruno tint bon contre cette sommation précise. Il contesta s’être rendu coupable d’aucune hérésie : c’étaient, disait-il, les inquisiteurs qui avaient interprété ses opinions dans un sens hérétique ; pour lui, il n’avait rien à retirer. Cette attitude confirme la conception exposée plus haut de ses rapports avec le catholicisme. En face de la mort, il resta fidèle à sa conception du christianisme, opposée à celle de l’Église, et, de même qu’il avait affirmé ses idées religieuses, il ne voulut pas renier ses idées philosophiques. Il rédigea une défense qu’il désirait soumettre au Pape ; elle fut ouverte, mais non lue. Le 9 février 1600 on annonça à Bruno sa sen-