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allusion à son penchant irrésistible, mais douloureux, pour la vérité. Un penchant semblable paraît s’être éveillé en lui à la pensée de son pays natal. Il n’avait pu trouver de nouvelle patrie au cours de ses longues périgrinations au nord des Alpes. Mais quels dangers ne menaçaient pas le moine fugitif, s’il revenait ! Le fait que l’invitation venait de Venise lui inspira peut-être confiance. Un jeune gentilhomme vénitien, Giovanni Mocenigo, qui avait étudié un des traités mnémotechniques de Bruno, apprit par son libraire que l’auteur résidait à Francfort. Il invita donc ce dernier à venir à Venise, lui disant qu’il voulait recevoir son enseignement. Il paraît avoir cru que Bruno était versé dans les sciences occultes, et il avait sans doute l’intention de s’y faire initier. Bruno accepta l’invitation. Après son brusque départ de Francfort, il résida un certain temps à Zurich, où il fit des cours à quelques jeunes gens ; puis il partit (en automne 1591) pour son fatal voyage au delà des Alpes. À Venise, il instruisit Mocenigo et finit par demeurer chez lui. Mais au bout de quelque temps, son élève se plaignit de ne pas apprendre tout ce qu’il désirait apprendre. En même temps il éprouvait des remords de conscience de loger chez lui un hérétique. Sur l’ordre de son confesseur il dénonça Bruno à l’Inquisition et l’enferma chez lui jusqu’à ce qu’il fût transféré dans la prison de l’Inquisition (23 mai 1592).

Bruno s’affaissa pendant l’interrogatoire. Il protesta contre certains propos violents et outrecuidants qu’on lui attribuait sur la dénonciation de Mocenigo ; il déclara qu’en son âme et conscience il était toujours resté fidèle à la foi de l’Église, bien qu’en sa qualité de moine fugitif il eût été empêché de prendre part au service divin de l’Église et qu’il enseignât dans sa philosophie des choses qui mettaient indirectement aux prises avec les dogmes — enfin il implora à genoux le pardon de toutes ses erreurs, exprimant le désir de faire pénitence pour que le giron de l’Église lui fût à nouveau ouvert. — Pour s’expliquer comment Bruno ait pu ainsi renier ce qu’il avait lui-même proclamé avec tant d’enthousiasme, il faut se souvenir qu’il n’avait jamais cru rompu le trait d’union entre l’Église catholique et lui. C’est ce qu’attestent les tentatives réitérées de réconciliation. Et l’impression de répulsion qu’il