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un nombre qui s’étend au delà de toute limite inférieure, moyenne et supérieure ».

Con senso, con raggion, con mente scerno,
Ch’ atto, misura, et conto non comprende
Quel vigor, mole, et numero, che tende
Oltr’ ogn’ inferior, mezzo et superno.

L’ignorance consciente (docta ignorantia), que nous connaissons par Nicolas de Cusa, tel est également le dernier mot de Bruno. Mais il est plus près du monde de l’expérience et lui consacre un intérêt plus grand que le théologien, pour lequel l’examen des êtres et des bornes de la pensée n’était guère qu’une échelle menant à l’approfondissement mystique de l’idée de la divinité. Bruno met à profit les idées qu’il doit à Nicolas de Cusa, surtout pour fonder et pour développer le nouveau système du monde. Mais il ne se perd pas dans la contemplation du monde extérieur. Il est convaincu que la divinité agit au fond du monde, et que ce fond, on peut le trouver en tous lieux. Les puériles différences extérieures entre le ciel et la terre ont disparu, mais uniquement (comme plus tard chez Böhme), pour faire place au sentiment que le Très-Haut est partout où l’esprit lui est ouvert. Et alors recommence le travail au sein de la vie intérieure. Ici encore, c’est un va-et-vient de puissants courants contraires, un mouvement de vagues illimité, un élan vers un but infini. Cela s’exprime notamment dans l’ouvrage sur les folies héroïques avec une grande abondance de poésies, d’allégories, de réflexions psychologiques et d’idées éthiques. Le plaisir et la douleur sont si étroitement unis que l’on ne saurait choisir l’un sans l’autre, ce n’est qu’en passant par le danger et par la ruine qu’on trouve le chemin de la victoire ; et le péril n’est pas seulement extérieur, il est aussi intérieur ; il faut que la volonté tombe pour pouvoir s’élever assez haut, et le repentir est parmi les vertus ce qu’est le cygne parmi les oiseaux. Il existe pour Bruno une relation tragique entre la connaissance et la vérité, entre la volonté et son but. Mais l’idéal était à ses yeux le sentiment de cette disproportion pendant l’aspiration de tous les instants. « Bien que l’âme n’atteigne pas le terme