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delle cenere. Cependant il ne renonça pas à l’espoir de voir ses idées triompher. Il profita de son séjour chez l’ambassadeur de France pour composer une série d’écrits en langue italienne et sous forme de dialogue, où il a donné l’image la plus riche et la plus grandiose de ses idées. Quelque tourmentée et décousue qu’ait été sa vie, il atteignit néanmoins au bonheur le plus grand qui soit accordé à un penseur ; il réussit à développer ses idées avec toute l’ampleur et toute la clarté que comportait le point où il en était. Aussi, malgré toute la résistance qu’il rencontra, le séjour de Londres fut-il pour Bruno une période heureuse. Quelques hommes insignes, tels que Philippe Sidney et Fulco Greville, lui témoignèrent de l’amitié ; il prit contact avec des cercles nobles et eut même accès auprès de la reine Élisabeth, qu’il célèbre dans ses écrits sous les traits d’Amphitrite, reine de la mer. Aussi apporte-t-il dans un ouvrage ultérieur des restrictions à son jugement sévère sur les Anglais. Il serait cependant trop hardi de croire que, même dans de petits cercles d’élite, il y ait eu vraiment des intelligences ouvertes à ses idées. On ne peut en relever absolument aucune trace ; en somme, sur le séjour de Bruno en Angleterre nous avons uniquement son propre récit. L’intérêt philosophique des Anglais prenait une autre direction que celle de Bruno, aussi bien à cette époque qu’à l’époque suivante. Le temps où Bruno allait être compris ne vint que plus tard. Les idées parentes de celles de Bruno qui se trouvent chez Shakespeare, notamment dans Hamlet, doivent être dérivées d’abord de Montaigne, et d’autres auteurs contemporains, si toutefois elles ne sont pas dues à la pensée du grand poète lui-même 26.

Durant son séjour à Londres Bruno déploya une fécondité étonnante. Outre un ouvrage mnémotechnique (avec la lettre d’introduction au chancelier d’Oxford mentionnée plus haut), il publia cinq dialogues importants écrits en italien qui contiennent un exposé de ses idées philosophiques. Dans le premier, le Dîner du Mercredi des cendres, est traitée la théorie de Copernic avec le fondement et l’extension que Bruno lui donnait. Puis suivit De la cause, du principe et de l’unité (Della causa, principio ed uno), le chef-d’œuvre de Bruno où