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surtout dans La Cena delle cenere (le dîner du Mercredi des cendres), le premier d’une série d’écrits en italien publiés à Londres, que son indignation se déversa sur la populace savante et ignorante. Il se trouvait être le premier à se poser en Angleterre en réformateur des idées admises sur le monde, et il apprit, selon sa propre expression, ce que c’est que de jeter des perles devant les porcs. Maintenant Bruno n’était pas seulement enthousiasmé pour les idées nouvelles, qui prenaient en lui une forme de plus en plus solide et pour qui le temps de la publication était venu ; il avait de son importance un sentiment qu’il épanchait de façon passablement emphatique. Les conservateurs pédants n’étaient pas seuls à pouvoir se sentir irrités par la lettre qu’il écrivit au vice-chancelier de l’Université d’Oxford pour annoncer son apparition. Il annonce qu’il est le professeur de la pure et innocente sagesse, un philosophe célèbre dans les autres universités d’Europe, étranger seulement pour les Barbares et les brutaux, le réveilleur des âmes endormies, le dompteur de l’ignorance, dont toute l’attention se porte sur la culture intellectuelle, haï des sots et des hypocrites, reçu avec des transports de joie par les esprits loyaux et sérieux, etc., etc. Il faut mettre naturellement beaucoup de ce pathos sur le compte du goût d’alors. L’université d’Oxford lui ouvrit ses portes, et pendant un certain temps il y exposa ses théories psychologiques et astronomiques. Son idée de l’unité de la vie de l’âme sous les nombreuses et diverses formes sous lesquelles elle se présente simultanément et successivement dans le monde ; son idée de l’infinité de l’univers, la terre, au lieu d’être le centre absolu, n’étant qu’un des corps célestes sans cesse en mouvement dont le nombre est infini, et dont absolument aucun ne possède un droit quelconque à être le point central — de telles idées étaient bien faites pour provoquer chez les scolastiques d’Oxford le vertige et le dépit. Les cours durent être interrompus. Il crut même avoir des preuves de la barbarie des savants de profession dans une dispute publique, où, d’après son propre récit, il réduisit son adversaire, « le choryphée de l’Université », quinze fois au silence. Et c’est ainsi que les choses se passent dans la dispute qu’il a décrite en détail dans La Cena