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Bruno. Outre Copernic, Nicolas de Cusa et Telesio eurent sur lui, ainsi qu’on l’a fait remarquer, une grande influence. On verra clairement dans quelle mesure l’action de ces penseurs se fait sentir en lui quand nous exposerons sa théorie dans ses motifs spéciaux d’inspiration. Bornons-nous à relever ici que ce changement apporté à sa conception du monde le mit franchement en opposition avec la philosophie officielle d’Aristote, sur laquelle s’étayait la théologie d’alors, et qui s’élevait et tomba avec l’ancien système du monde. Ne trouvant pas de position stable dans l’Italie du Nord, qu’il avait pourtant parcourue tout entière jusqu’à Venise, il passa les Alpes et vint à Genève (1579). Il paraît y avoir été considéré comme membre de l’Église réformée, bien que dans l’interrogatoire fait par l’inquisition à Venise il ait nié s’y être converti. On a en effet trouvé à l’Université son inscription de sa propre main, et pour s’inscrire il fallait adopter la profession de foi calviniste. On a de plus découvert des pièces témoignant qu’il a soutenu une lutte violente contre un professeur du gymnase et contre le clergé de la ville ; on lui reproche en particulier d’avoir traité les membres du clergé de « pédagogues » ; enfin il avait avancé une doctrine hérétique. Pour cette raison il fut excommunié et dut — pour que l’excommunication fût levée — manifester son repentir de ce qui s’était passé. Cet épisode suppose évidemment que Bruno s’était en tous cas rallié pour la forme à la religion réformée. Le régime théocratique du calvinisme lui devint aussitôt sensible et ce fut certainement là, avec d’autres expériences faites pendant son séjour en pays protestant, l’origine du jugement sévère qu’il porta plus tard sur le protestantisme en général et sur le calvinisme en particulier. Bruno ne soupçonnait pas ce qui historiquement devait sortir du calvinisme ; il n’eut que l’occasion d’en remarquer les mauvais côtés, ce qui eut pour effet de lui faire quitter Genève au bout de quelques mois pour aller dans le midi de la France. À Toulouse, il commença avec un vif succès des cours à l’Université, où il fut installé dans les fonctions de professeur, charge qu’il exerça pendant deux ans. Là aussi il exposait l’astronomie et la philosophie d’Aristote. Ce fut la période la plus tranquille de sa vie, bien qu’il se soit également pris de querelle avec les savants, probablement à