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qu’il ne s’agit que de spéculations mathématiques, ils s’ôtent la chose de l’esprit. Bruno prétend que cette préface a dû être écrite par « quelque âne ignorant et plein de suffisance » qui a voulu arranger le livre à l’usage des autres ânes. Il s’en rapporte au propre avant-propos de Copernic, où l’on peut voir que sa théorie est sérieuse et que du reste il parle dans l’ouvrage non seulement en mathématicien, mais en physicien. Et plus tard Kepler, s’appuyant sur les propres lettres d’Osiander, produisit la preuve formelle que la préface est apocryphe24).

Il fallut encore un certain temps, même en Italie, où pourtant la réaction de l’Église battait son plein, pour que le nouveau système du monde fût assez connu pour provoquer la persécution. À cette extension contribua pour une bonne part le penseur enthousiaste qui, non content d’adopter le nouveau système du monde et de l’insérer dans l’ordre de ses idées, l’agrandit encore et en tira les conséquences les plus importantes au point de vue de la conception générale du monde, tandis que la lutte pour les idées nouvelles allait d’autre part décider du sens de sa vie.

13. — Giordano Bruno

a) Biographie et caractéristique.

Nous trouvons chez Bruno les idées de Nicolas de Cusa, de Telesio et de Copernic combinées en un tout original dans le plus grand système philosophique qu’ait édifié la Renaissance, et qui, sous plusieurs rapports, avait un caractère prophétique. Les idées scientifiques des temps modernes sur le monde furent fondées par lui dans quelques-uns de leurs grands traits. Par contre Bruno sacrifie sur l’autel de son temps, car il en partage la superstition et l’esprit fantastique, penchant qu’il devait à son âme passionnée et impatiente. La clarté et la méthode de la pensée n’étaient pas son fait ; les grandes lignes seules se formaient distinctement en son esprit, et il les traçait avec un enthousiasme qui triomphait de toutes les épreuves. Mais il n’avait pas une conception nette de lui-même ou de sa pensée : impossible de se rendre compte de combien elle