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VIE D’HOMÈRE.

demande, et du décret du sénat à ce sujets. Déplorant alors son malheur, il prononça ces vers :

« À quelle triste destinée le père Jupiter a-t-il permis que je fusse en proie, moi qui ai été nourri délicatement sur tes genoux d’une mère respectable, dans le temps que les peuples du Phricium[1], habiles à dompter les chevaux et ne respirant que la guerre, élevèrent sur les bords de la mer, par les ordres de Jupiter, la ville æolienne, la respectable Smyrne, que traversent les eaux sacrées du Mélès ! Les illustres filles de Jupiter voulaient, en partant de ces lieux, immortaliser par mes vers cette ville sacrée ; mais, sourds à ma voix, ses habitants insensés dédaignèrent mes chants harmonieux. Non, non, il n’en sera pas ainsi : quiconque dans sa folie aura accumulé sur ma tête des outrages, ne l’aura pas fait impunément. Je supporterai courageusement le sort auquel le dieu m’a condamné dès ma naissance. C’en est fait, je ne demeurerai plus à Cyme. Mes pieds brûlent d’en sortir, et mon grand cœur me presse de me rendre dans une terre étrangère, et de me fixer dans un autre lieu, quelque petit qu’il soit. »

XV. En sortant de Cyme pour se retirer à Phocée, il fit cette imprécation qu’il ne naquît jamais à Cyme de poëte qui pût la rendre célèbre et lui donner de l’éctat. Arrivé à Phocée, il y vécut de la même manière qu’il avait fait ailleurs, fréquentant assidûment les lieux d’assemblée, ou il récitait ses vers. Il y avait en ce temps-là à Phocée un nommé Thestorides[2], qui instruisait les jeunes gens dans les lettres. Cet homme était sans probité. Ayant reconnu les talents d’Homère pour la poésie il lui offrit de le nourrir et de prendre soin de lui s’il voulait lui permettre d’écrire ses vers, et s’il voûtait lui apporter tous ceux qu’il

  1. Mot à mot, les peuples du Phricon. Le mont Phricium est une montagne de la Locride, au-dessus des Thermopyles. Il en sortit une colonie qui bâtit la ville de Cyme : cette ville prit de là le nom de Phriconis. — (Strabon, lib. xiii.)
  2. Thestorides est un nom patronymique qui signifie fils de Thestor. Calchas, ce fameux devin qui accompagna les Grecs à l’expédition de Troie, était aussi surnommé Thestorides, parce qu’il était fils de Thestor ; et c’est ainsi que le nomme souvent Homère. (L.)