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CLIO, LIVRE I.

sement. « Ma femme, lui dit-il, je n’ai pas plutôt été dans la ville, que j’ai vu et entendu des choses que je voudrais bien n’avoir ni vues ni entendues ; et plût aux dieux qu’elles ne fussent jamais arrivées à nos maîtres ! Toute la maison d’Harpage était en pleurs. Frappé d’effroi, je pénètre dans l’intérieur : je vois à terre un enfant qui pleurait, qui palpitait. Il était couvert de drap d’or et de langes de diverses couleurs. Harpage ne m’eut pas plutôt aperçu qu’il me commanda d’emporter promptement cet enfant, et de l’exposer sur la montagne la plus fréquentée par les bêtes féroces. Il m’a assuré que c’était Astyages lui-même qui me donnait cet ordre, et m’a fait de grandes menaces si je manquais à l’exécuter. J’ai donc pris cet enfant et l’ai emporté, croyant qu’il était à quelqu’un de sa maison ; car je n’aurais jamais imaginé quel était son véritable père. J’étais cependant étonné de le voir couvert d’or et de langes si précieux. Je ne l’étais pas moins de voir toute la maison d’Harpage en pleurs. Enfin, chemin faisant, j’ai bientôt appris du domestique qui m’a accompagné hors de la ville, et qui m’a remis l’enfant, qu’il est à Mandane, fille d’Astyages, et à Cambyse, fils de Cyrus, et qu’Astyages ordonne qu’on le fasse mourir. Le voici, cet enfant. »

CXII. En achevant ces mots, Mitradates découvre l’enfant, et le montre à sa femme. Charmée de sa grandeur et de sa beauté, elle embrasse les genoux de son mari, et le supplie, les larmes aux yeux, de ne point exposer cet enfant. Il lui dit qu’il ne pouvait s’en dispenser, qu’il devait venir des surveillants de la part d’Harpage, et que, s’il n’obéissait pas, il périrait de la manière la plus cruelle. Spaco, voyant que ses discours ne faisaient aucune impression sur son mari, reprit la parole : « Puisque je ne saurais, dit-elle, te persuader, et qu’il faut absolument qu’on voie un enfant exposé, fais du moins ce que je vais te dire. Je suis accouchée d’un enfant mort : va le porter sur la montagne, et nourrissons celui de la fille d’Astyages comme s’il était à nous. Par ce moyen, on ne pourra te convaincre d’avoir offensé tes maîtres, et