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HISTOIRE D’HÉRODOTE.

dans sa réponse un nom libyen. En effet, lorsqu’il fut parvenu à l’âge viril, étant allé à Delphes pour consulter l’oracle sur le défaut de sa langue, la Pythie lui répondit : « Battus, tu viens ici au sujet de ta voix : mais Apollon t’ordonne d’établir une colonie dans la Libye, féconde en bêtes à laine. » C’est comme si elle eût dit en grec : « Ô roi, tu viens au sujet de ta voix. » Battus lui répondit : « Roi, je suis venu vous consulter sur le défaut de ma langue ; mais vous me commandez des choses impossibles, en m’envoyant établir une colonie en Libye. Avec quelles troupes, avec quelles forces puis-je exécuter un tel projet ? » Malgré ces raisons, il ne put engager la Pythie à lui parler autrement. Voyant donc que l’oracle persistait dans sa réponse, il quitta Delphes, et retourna à Théra.

CLVI. Mais dans la suite il lui arriva beaucoup de malheurs, ainsi qu’aux autres habitants de l’île[1]. Comme ils en ignoraient la cause, ils envoyèrent à Delphes consulter l’oracle sur leurs maux actuels. La Pythie leur répondit qu’ils seraient plus heureux s’ils fondaient, avec Battus, la ville de Cyrène en Libye. Sur cette réponse, ils firent partir Battus avec deux vaisseaux à cinquante rames. Battus et ceux qui l’accompagnaient, forcés par la nécessité, firent voile en Libye ; mais ils revinrent à l’île de Théra. Les Théréens les attaquèrent lorsqu’ils voulurent descendre à terre, et, ne leur permettant point d’aborder,

  1. Hérodote ne s’explique pas davantage, et nous laisse absolument ignorer quels furent ces malheurs. Le scoliaste de Pindare (Ménéclès) suppléera à son silence. « Il y eut, dit-il, des troubles dans l’île de Théra, et les citoyens se partagèrent en deux factions. Battus, s’étant mis à la tête de l’une de ces deux factions, eut du dessous dans un combat, et fut obligé de quitter sa patrie. Comme il avait perdu l’espoir d’y retourner, il résolut de s’établir ailleurs avec ceux qui l’avaient accompagné dans sa fuite. Battus, étant allé à Delphes, demanda au dieu s’il combattrait pour recouvrer sa patrie, ou s’il irait chercher ailleurs un établissement. Le dieu lui répondit : « Battus, le premier parti est mauvais, le second est bon. Va, quitte une terre environnée de mer ; le continent vaut mieux. Renonce à l’Orient, où fut ton premier domicile. Obéis à mes ordres, en allant habiter une terre ferme, suivant la volonté des dieux. Garde-toi d’entreprendre une navigation injuste en retournant en ta patrie, et souviens-toi que telles sont les œuvres de l’homme, tel est le succès de ses entreprises. »