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HISTOIRE D’HÉRODOTE.

celle d’un roi. — Ne savez-vous pas, leur répondit Amasis, qu’on ne bande un arc que lorsqu’on en a besoin, et qu’après qu’on s’en est servi, on le détend ? Si on le tenait toujours bandé, il se romprait, et l’on ne pourrait plus s’en servir au besoin. Il en est de même de l’homme : s’il était toujours appliqué à des choses sérieuses, sans prendre aucun relâche et sans rien donner à ses plaisirs, il deviendrait insensiblement, et sans s’en apercevoir, fou ou stupide. Pour moi, qui en sais les conséquences, je partage mon temps entre les affaires et les plaisirs. » Il répondit ces choses à ses amis.

CLXXIV. On dit qu’Amasis, n’étant encore que simple particulier, fuyait toutes les occupations sérieuses, et n’aimait qu’à boire et à plaisanter. Si l’argent lui manquait, et qu’il ne pût satisfaire son goût pour la table et les plaisirs, il avait coutume de voler de côté et d’autre. Ceux qui le soupçonnaient d’avoir pris leur argent le menaient, lorsqu’il venait à le nier, à l’oracle du lieu, qui souvent le convainquait, et souvent aussi le renvoyait absous. Lorsqu’il fut sur le trône, il méprisa les dieux qui l’avaient déclaré innocent, ne prit aucun soin de leurs temples, ne songea ni à les réparer ni à les orner, et ne voulut pas même y aller offrir des sacrifices, les jugeant indignes de tout culte, parce qu’ils n’avaient que de faux oracles : il avait au contraire la plus grande vénération pour ceux qui l’avaient convaincu de vol, les regardant comme étant véritablement dieux et ne rendant que des oracles vrais.

CLXXV. Il fit bâtir à Saïs, en l’honneur de Minerve, le portique de son temple ; édifice digne d’admiration, et qui surpasse de beaucoup tous les autres ouvrages de ce genre, tant par sa hauteur et son étendue que par la qualité et la grandeur des pierres qu’on y employa. Il y fit placer des statues colossales, et des androsphinx[1] d’une hauteur prodigieuse. On apporta aussi par son ordre des pierres d’une

  1. Figure monstrueuse qui avait le corps d’un lion et le visage d’un homme. Cependant les artistes égyptiens représentaient communément le sphinx avec le corps d’un lion et le visage d’une jeune fille. On plaçait ordinairement ces sphinx à l’entrée des temples, pour servir de type de la nature énigmatique de la théologie égyptienne. (L.)