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EUTERPE, LIVRE II.

autant de gagné pour eux. Le jeune homme, feignant d’être en colère, leur dit beaucoup d’injures ; mais comme ils cherchaient à le consoler, il cessa ses emportements, et, faisant semblant de s’apaiser, il détourna ses ânes du chemin, et se mit en devoir de refermer les outres. Il s’entretint ensuite avec les gardes ; et, comme ils tâchaient de l’égayer, en lui faisant des plaisanteries, il leur donna une de ses outres. Ils s’assirent aussitôt dans le lieu où ils se trouvaient, et, ne pensant plus qu’à boire, ils pressèrent le jeune homme de rester et de leur tenir compagnie. Il se laissa sans doute persuader, et demeura avec eux ; et parce qu’en buvant ils le traitaient avec honnêteté, il leur donna encore une outre. Les gardes, ayant bu avec excès, s’enivrèrent, et, vaincus par le sommeil, ils s’endormirent à l’endroit même où ils avaient bu. Dès que le jeune homme vit la nuit fort avancée, il leur rasa par dérision la joue droite, détacha le corps de son frère, le chargea sur un de ses ânes, et retourna chez lui, après avoir exécuté les ordres de sa mère.

Le roi, apprenant qu’on avait enlevé le corps du voleur, se mit fort en colère ; mais, comme il voulait absolument découvrir celui qui avait fait le coup, il s’avisa d’une chose que je ne puis croire : il prostitua sa propre fille dans un lieu de débauche, lui ordonnant de recevoir également toutes sortes de personnes, mais de les obliger, avant de leur accorder ses faveurs, à lui dire ce qu’ils avaient fait en leur vie de plus subtil et de plus méchant ; et, s’il s’en trouvait un qui se vantât d’avoir enlevé le corps du voleur, il lui recommanda de l’arrêter, et de ne le point laisser échapper. La fille obéit aux ordres de son père ; mais le voleur, ayant appris pourquoi tout cela se faisait, voulut montrer qu’il était plus habile que le roi. Il coupa près de l’épaule le bras d’un homme nouvellement mort, et, l’ayant mis sous son manteau, il alla de ce pas trouver la fille du roi. La princesse lui ayant fait les mêmes questions qu’à tous ceux qui s’étaient déjà présentés, il lui conta que la plus méchante action qu’il eût jamais faite, était d’avoir coupé la tête à son frère pris à un piége dans le trésor du roi, et que la plus subtile était d’avoir détaché son corps,