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HISTOIRE D’HÉRODOTE.

fort étonné, en visitant les vases où était son argent, de les trouver considérablement diminués : il ne savait qui en accuser, parce que les sceaux étaient entiers, et que tout était bien fermé. Y étant revenu deux ou trois fois, et s’étant toujours aperçu que l’argent diminuait (car les voleurs ne cessaient point de piller), il fit faire des piéges qu’on plaça par son ordre autour des vases où étaient ses trésors. Les voleurs vinrent comme auparavant. Un d’eux entre, va droit au vase, donne dans le piége et s’y prend. Dès qu’il se voit dans cette fâcheuse situation il appelle son frère, lui conte son malheur, le conjure d’entrer au plus vite et de lui couper la tête, de crainte qu’étant vu et reconnu, il ne fût la cause de sa perte. Celui-ci, voyant qu’il avait raison, obéit, remit la pierre, et s’en retourna chez lui avec la tête de son frère.

Dès que le jour parut, le roi se rendit à son trésor. À peine fut-il entré, qu’il fut frappé d’étonnement à la vue du corps du voleur, sans tête, pris et arrêté dans le piége ; il ne le fut pas moins, en remarquant que l’édifice n’était pas endommagé, de n’apercevoir ni entrée ni sortie. Dans cet embarras, voici le parti qu’il prit : il fit pendre sur la muraille le cadavre, et plaça des gardes auprès, avec ordre de lui amener celui qu’ils verraient pleurer à ce spectacle, ou en être touché de commisération. La mère du voleur, indignée du traitement fait à son fils, s’adressant à celui qui lui restait, lui enjoignit de mettre tout en œuvre pour détacher le corps de son frère et le lui apporter, le menaçant, s’il négligeait de lui donner cette satisfaction, d’aller elle-même le dénoncer au roi. Ce jeune homme, ne pouvant fléchir sa mère, quelque chose qu’il pût dire, et craignant l’effet de ses menaces, imagina cet artifice :

Il chargea sur des ânes quelques outres remplies de vin, les chassa devant lui ; et lorsqu’il fut près de ceux qui gardaient le corps de son frère, il délia le col de deux ou trois de ces outres. Le vin s’étant mis aussitôt à couler, il se frappa la tête en jetant de grands cris, comme un homme au désespoir, et qui ne savait auquel de ces ânes il devait aller le premier. Les gardes, voyant le vin couler en abondance, accoururent pour le recueillir, comptant que c’était