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MARIA CHAPDELAINE

déchirée par les branches, et j’en connais qui se sont mis à pleurer quand on leur a dit qu’ils pouvaient s’en retourner chez eux, parce qu’ils pensaient qu’ils allaient trouver tout le monde mort, tant ça leur avait paru long. Ça, c’était de la misère.

— C’est vrai, dit le père Chapdelaine, je me rappelle ce temps-là. Il n’y avait pas une seule maison en haut du lac : rien que des sauvages et quelques chasseurs qui montaient par là l’été en canot et l’hiver dans des traîneaux à chiens, quasiment comme aujourd’hui au Labrador.

Les jeunes gens écoutaient avec curiosité ces récits d’autrefois.

— Et à cette heure, fit Esdras, nous voilà icitte à quinze milles en haut du lac, et quand le bateau de Roberval marche on peut descendre aux chars en douze heures de temps.

Ils songèrent à cela pendant quelque temps sans parler : à la vie implacable d’autrefois, à la courte journée de voyage qui maintenant les séparait seulement des prodiges de la voie ferrée, et ils s’émerveillèrent avec sincérité.

Tout à coup Chien grogna sourdement ; un bruit de pas se fit entendre au dehors.

— Encore de la visite ! s’écria la mère Chapdelaine d’un ton d’étonnement joyeux.

Maria se leva aussi, émue, lissant ses cheveux sans y penser ; mais ce fut Éphrem Sur-