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MARIA CHAPDELAINE

surée que l’avait été le froid de l’hiver. Les cimes des épinettes et des cyprès, oubliées par le vent, se figèrent dans une immobilité perpétuelle ; au-dessus de leur ligne sombre s’étendit un ciel auquel l’absence de nuages donnait une apparence immobile aussi, et de l’aube à la nuit le soleil brutal rôtit la terre.

Les cinq hommes continuaient le travail, et de jour en jour la clairière qu’ils avaient faite s’étendait un peu plus grande derrière eux, nue, semée de déchirures profondes qui montraient la bonne terre.

Maria alla leur porter de l’eau un matin.

Le père Chapdelaine et Tit’Bé coupaient des aunes ; Da’Bé et Esdras mettaient en tas les arbres coupés. Edwige Légaré s’était attaqué seul à une souche ; une main contre le tronc, de l’autre il avait saisi une racine comme on saisit dans une lutte la jambe d’un adversaire colossal, et il se battait contre l’inertie alliée du bois et de la terre en ennemi plein de haine que la résistance enrage. La souche céda tout à coup, se coucha sur le sol ; il se passa la main sur le front et s’assit sur une racine, couvert de sueur, hébété par l’effort. Quand Maria arriva près de lui avec le seau à demi plein d’eau, les autres ayant bu, il était encore immobile, haletant, et répétait d’un air égaré :

— Je perds connaissance… Ah ! Je perds connaissance.