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MARIA CHAPDELAINE

et rouler sur le sol vers les tas les grosses souches arrachées, à grand renfort de reins et de bras raidis et de mains souillées de terre, aux veines gonflées, qui semblaient lutter rageusement avec le tronc massif et les grosses racines torves.

Le soleil glissa vers l’horizon, disparut ; le ciel prit de délicates teintes pâles au-dessus de la lisière sombre du bois, et l’heure du souper ramena vers la maison cinq hommes couleur de terre.

En les servant la mère Chapdelaine demanda cent détails sur le travail de la journée, et quand l’idée du coin de terre déblayé, magnifiquement nu, enfin prêt pour la culture, eut pénétré son esprit, elle montra une sorte d’extase mystique.

Les poings sur les hanches, dédaignant de s’attabler à son tour, elle célébra la beauté du monde telle qu’elle la comprenait : non pas la beauté inhumaine, artificiellement échafaudée par les étonnements des citadins, des hautes montagnes stériles et des mers périlleuses, mais la beauté placide et vraie de la campagne au sol riche, de la campagne plate qui n’a pour pittoresque que l’ordre des longs sillons parallèles et la douceur des eaux courantes, de la campagne qui s’offre nue aux baisers du soleil avec un abandon d’épouse.

Elle se fit le chantre des gestes héroïques des