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Québec » se restreigne, comme l’auteur l’a très certainement voulu, à la région qu’il a décrite. Autrement, son tableau serait trop monté en couleur.

Louis Hémon s’est ainsi arrêté à un échantillon du sol canadien qui ne séduira guère l’émigrant frileux ou l’horticulteur en quête d’un lopin favorable à la pousse des primeurs ou à la floraison des roses. Cet échantillon agréa néanmoins à son tempérament d’artiste recherchant du pittoresque sans apprêt dans une nature aussi franche. Et l’explorateur littéraire s’intéressa aux habitants de cette âpre contrée, à ces existences vouées tout entières au déboisement du sol et qui sont réfractaires aux autres besognes, même à la culture régulière de ce sol qu’ils ont cependant gagné à la peine. La culture, une autre espèce de paysans s’en chargent, ceux qu’attirent les terres ouvertes par ces défricheurs obstinés qui repartent sans jamais s’établir ou se fixer, pour aller plus loin, toujours plus loin, repoussant par instinct et sans cesse devant eux la frontière de la forêt qui est l’ennemie, la grande ennemie. Quelques épisodes de l’existence de ces humbles personnages, traversée de banales aventures, ont défrayé l’affabulation du récit.

Le père Samuel Chapdelaine « fait de la terre » dans une concession qu’il a obtenue, au nord de Honfleur, à douze milles de l’église paroissiale de Péribonka. C’est sa sixième installation « dans le bois ». « La terre est bonne ; mais il faut se battre avec le bois pour l’avoir ». La mère Chapdelaine prend toute sa part de la dure besogne, « toujours aussi capablement, encouragée et de belle humeur, sans jamais un mot de chicane ou de malice ». Les enfants peinent de toutes leurs jeunes forces et grandissent dans cette solitude. Maria a senti périr, dans une tragique rafale de neige, la fleur bleue qui, dans son cœur de fille des bois, s’était cependant aussi bellement ouverte qu’elle s’épanouit dans le cœur de toute jeune fille, sous tous les climats. Elle pleure et se résigne, comme les siens se résignent à toutes les épreuves de la vie, acceptées d’avance. Et elle songe, comme par devoir, à l’avenir. Deux prétendants lui déclarent leurs ambitions différentes avec leur amour sans affolage, et lui laissent le choix de sa destinée. La candeur, avec cette ignorance naturelle ou « abécédaire » de quoi Montaigne fait une source de sagesse inconsciente qu’il ne laisse pas de proclamer fortifiante, la foi paysanne, le courage et la bonne humeur de ces humbles personnages leur cachent leur propre misère. Au demeurant, la misère, comme le bonheur, n’existe que par relation ; comme