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Elle secouait la tête en le regardant avec une curiosité étonnée.

— Vous faire geler les membres l’hiver, vous faire manger par les mouches l’été, vivre dans une tente sur la neige ou dans un camp plein de trous par où le vent passe, vous aimez mieux cela que faire tout votre règne tranquillement sur une belle terre, là où il y a des magasins et des maisons. Voyons, un beau morceau de terrain « planche », dans une vieille paroisse, du terrain sans une souche ni un creux, une bonne maison chaude toute tapissée en dedans, des animaux gras dans le clos ou à l’étable, pour des gens bien gréés d’instruments et qui ont de la santé, y a-t-il rien de plus plaisant et de plus aimable ?

François Paradis regardait le plancher sans répondre, un peu honteux peut-être de ses goûts déraisonnables.

— C’est une belle vie pour ceux qui aiment la terre, dit-il enfin, mais moi je n’aurais pas été heureux.

C’était l’éternel malentendu des deux races : les pionniers et les sédentaires, les paysans venus de France qui avaient continué sur le sol nouveau leur idéal d’ordre et de paix immobile, et ces autres paysans, en qui le vaste pays sauvage avait réveillé un atavisme lointain de vagabondage et d’aventure.