Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/61

Cette page a été validée par deux contributeurs.

chanceux, qui n’ont pu se racheter, eux, et restent esclaves, que l’aise apparaît avec toutes ses grâces d’état inaccessible.

Peut-être les Chapdelaine pensaient-ils à cela et chacun à sa manière ; le père avec l’optimisme invincible d’un homme qui se sait fort et se croit sage ; la mère avec un regret résigné ; et les autres, les jeunes, d’une façon plus vague et sans amertume, à cause de la longue vie assurément heureuse qu’ils voyaient devant eux.

Maria regardait parfois à la dérobée Eutrope Gagnon, et puis détournait aussitôt les yeux très vite, parce que chaque fois elle surprenait ses yeux à lui fixés sur elle, pleins d’une adoration humble. Depuis un an elle s’était habituée sans déplaisir à ses fréquentes visites et à recevoir chaque dimanche soir dans le cercle des figures de la famille sa figure brune qui respirait la bonne humeur et la patience ; mais cette courte absence d’un mois semblait avoir tout changé, et en revenant au foyer elle y rapportait une impression confuse que commençait une étape de sa vie à elle où il n’aurait point de part.

Quand les sujets ordinaires de conversation furent épuisés l’on joua aux cartes : au « quatre-sept » et au « bœuf » ; puis Eutrope regarda sa grosse montre d’argent et vit qu’il était temps de partir. Le fanal allumé, les adieux faits, il