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le curé est venu ; il a mis sa main sur le bordage… rien que mis sa main sur le bordage, de même… « Poussez encore un coup », qu’il a dit ; et la chaloupe est partie quasiment seule et s’en est allée vers l’eau comme une créature en vie. Cet homme qui était malade a reçu le Bon Dieu comme il faut et il est mort en monsieur, juste comme le jour venait. Oui, c’est fort, un prêtre !

Maria soupira encore ; mais son cœur avait trouvé dans la certitude et dans l’attente de la mort une sorte de sérénité triste. La maladie obscure, l’inquiétude de ce qui pouvait venir, c’étaient des choses qu’on combattait à l’aveuglette, sans trop les comprendre, des choses vagues et terrifiantes comme des fantômes. Mais devant la mort inévitable et prochaine, ce qui restait à faire était simple et prévu depuis des siècles par des lois infaillibles. M. le curé venait, que ce fût le jour ou la nuit, il venait de loin, apportant le Saint-Sacrement à travers les rivières torrentielles du printemps, sur la glace traîtresse, par les mauvais chemins emplis de neige, en face du norouâ cruel, il venait sans jamais manquer, escorté de miracles ; il faisait les gestes consacrés, et après cela il n’y avait plus de place pour le doute ou la peur : la mort devenait une promotion auguste, une porte ouverte sur la béatitude inimaginable des élus…