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chée… Faire le ménage et l’ordinaire, tirer les vaches, nettoyer l’étable quand l’homme serait absent, travailler dans les champs peut-être, parce qu’ils ne seraient que deux et qu’elle était forte. Passer les veillées au rouet ou à radouber de vieux vêtements… Prendre une demi-heure de repos parfois l’été, assise sur le seuil, en face des quelques champs enserrés par l’énorme bois sombre ; ou bien, l’hiver, faire fondre avec son haleine un peu de givre opaque sur la vitre et regarder la neige tomber sur la campagne déjà blanche et sur le bois… Le bois… Toujours le bois, impénétrable, hostile, plein de secrets sinistres, fermé autour d’eux comme une poigne cruelle qu’il faudrait desserrer peu à peu, année par année, gagnant quelques arpents chaque fois au printemps et à l’automne, année par année, à travers toute une longue vie terne et dure.

Non, elle ne voulait pas vivre comme cela.

— Je sais bien qu’il faudrait travailler fort pour commencer, continuait Eutrope, mais vous êtes vaillante, Maria, et accoutumée à l’ouvrage, et moi aussi. J’ai toujours travaillé fort ; personne n’a pu dire jamais que j’étais lâche, et si vous vouliez bien me marier ça serait mon plaisir de peiner comme un bœuf toute la journée pour vous faire une belle terre et que nous soyons à l’aise avant d’être vieux. Je ne prends