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Quelque chose passa sur son visage, qui fit dire à Éphrem Surprenant :

— Ah ! c’est dur, icitte ; c’est dur !

Ils firent « oui » de la tête, tous les trois et baissèrent les yeux : trois hommes aux épaules maigres, encore pâles malgré leurs six mois passés sur la terre, qu’une chimère avait arrachés à leurs comptoirs, à leurs bureaux, à leurs tabourets de piano, à la seule vraie vie pour laquelle ils fussent faits. Car il n’y a pas que les paysans qui puissent être des déracinés. Ils avaient commencé à comprendre leur erreur, et qu’ils étaient trop différents, pour les imiter, des Canadiens qui les entouraient, dont ils n’avaient ni la force, ni la santé endurcie, ni la rudesse nécessaire, ni l’aptitude à toutes les besognes : agriculteurs, bûcherons, charpentiers, selon la saison et selon l’heure.

Le père hochait la tête, songeur ; un des fils, les coudes sur ses genoux, contemplait avec une sorte d’étonnement les callosités que le dur travail des champs avait plaquées aux paumes de ses mains frêles. Tous trois avaient l’air de tourner et de retourner dans leurs esprits le bilan mélancolique d’une faillite. Autour d’eux l’on pensait : « Lorenzo leur a vendu son bien plus qu’il ne valait ; ils n’ont plus guère d’argent et les voilà mal pris ; car ces gens-là ne sont pas faits pour vivre sur la terre. »

La mère Chapdelaine voulut les encourager,