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jour se meurt quand j’arrive, et, par certains soirs brumeux et gris, il fait si sombre qu’on sent déjà la nuit prochaine. Mais je sens ma force en moi, et je remonte sans hâte vers le tertre planté d’arbres, d’où je regarde agoniser la lumière.

C’est alors qu’il fait bon jouer dans l’eau, quand les moindres remous se teintent de reflets orange, et que les troncs des ormeaux montent comme des colonnes noires, dans le ciel attendri ; qu’il fait bon, comme Kotik, le jeune phoque blanc dont parle Kipling, nager en rond dans les derniers rayons du soleil pâle, ou se tenir debout dans l’eau pour regarder le vaste monde, ou encore prendre un grand élan pour s’arrêter net, d’un effort subit, à six pouces d’une pierre aiguë.

Parfois, quand l’ombre descend sur les berges plates, elles prennent, à mes yeux, un aspect de redoutable mystère. La nuit a fait le silence dans les champs tristes, on ne voit ni homme ni maison, et, parce que je me trouve, seul et nu, au milieu de la large campagne, voici que mon âme de civilisé, soudain rajeunie de trois mille ans, fait de moi un contemporain des premiers âges.