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CONCLUSION 381

qui ne sont pas le bien et le beau ; je ne veux pas assez le bien si je le conçois sous des formes contradictoires. Ma volonté, dans ce cas, n’est pas assez forte pour guider mon intelligence , pour briser les associations d’idées, les coutumes et les babitudes qui entravent son action ; qu’elle se fortifie, qu’elle se développe, et elle les brisera. M. Bain dit qu’un défenseur de l’esclavage a le même sentiment et le même amour de la justice qu’un abolitionniste peut avoir. — Non, un défenseur de l’esclavage, tout en étant parfaitement sincère, ne possédera pourtant pas encore un amour suffisant de la justice, parce qu’il ne l’aura pas assez cherchée pour la trouver. Un sauvage qui, d’après un exemple de Montaigne et d’Helvétius, tuera et mangera son frère avec la meilleure intention du monde, n’aimera pourtant pas assez son frère. C’est ne pas avoir assez bonne intention que de manifester cette intention par des actes imparfaits qui la contredisent. En résumé, quelque système qu’on adopte sur l’essence de la moralité, on peut accorder que, plus l’humanité progressera, plus ses mœurs se mettront en harmonie, mieux seront ramenées à l’unité ses idées morales. De là, dans ces idées mêmes, une évolution qui, aux yeux des idéalistes, non-seulement ne prouve pas l’absence de la vraie moralité ; , mais au contraire semble plutôt montrer sa présence et son action incessantes. Cette évolution, au lieu d’être simplement le produit des forces physiques et des rapports économiques entre les intérêts, serait alors le produit et la manifestation de la volonté. Tous les êtres humains tendent au fond, les uns comme les autres, vers le bien ; mais cette volonté, encore faible et imparfaite, s’est d’abord signifiée en des actes qui la traduisaient imparfaitement ; à mesure que la volonté morale se fortifie chez tous, les actions qui l’expriment et les idées qui s’y rattachent deviennent plus parfaites, et cette perfection croissante les rapproche sans cesse de l’unité, terme de leur évolution. L’idéal serait que, par les actes les plus divers et cependant les plus harmonieux, se manifestât dans le monde la même bonne volonté.

III

LES TRANSFORMATIONS DE l’UTILITARISME.

Tout en prétendant rejeter les idées morales proprement dites, les utilitaires ont fait effort pour faire ren-