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380 LA MORALE ANGLAISE CONTEMPORAINE

A ce qu’on appelle l’émotion morale ne pourrait-il correspondre une certaine conception d’un idéal moral encore trop indéterminé, et en même temps la volonté de réaliser cet idéal ? L’accord entre les hommes serait alors finalement un accord de volonté, un accord de moralité. M. Bain compare l’humanité à un chœur immense où la voix de chaque chanteur, quoiqu’elle se fonde avec toutes les autres, reste pourtant un effet distinct produit par sa propre volition. De même qu’il n’existe point « de voix abstraite universelle » ou « de chœur abstrait » à part des choristes, ainsi il n’existe point une sorte de conscience humaine dominant toutes les consciences individuelles et les réglant. Il n’y a rien dans la conscience d’universel. — Mais, pourrait-on répondre, de même que, dans ce chœur dont vous parlez, il y a une chose commune à tous les chanteurs, quelle que soit la diversité des notes qu’ils émettent, à savoir la volonté de chanter et de s’unir dans une même harmonie, ainsi n’y a-t-il pas chez tous les hommes, à certains instants, quelle que soit la diversité des mœurs et des manières d’agir, une chose commune, constante, la volonté de bien agir ? Ne serait-ce pas cette volonté du beau et du bon qui, dominant toutes les consciences individuelles, les ramènerait à l’harmonie et ferait un immense concert de ce qui, au premier abord, semblait une immense discordance ? S’il en est ainsi, tous les peuples, de quelque manière qu’ils conçoivent le bien, veulent le bien et se proposent un idéal. Mais, en admettant qu’ils veuillent et aiment tous le bien, il ne s’ensuit pas qu’ils le veuillent également : il est des degrés dans cet universel amour. Or, qui dit degré dit aussi mouvement pour s’élever du degré inférieur au degré supérieur. Ainsi reparaît transformée, au sein même de la volonté, cette grande idée de mouvement vers le mieux, de progrès, d’évolution, que les utilitaires exclusifs ne veulent introduire et faire agir qu’au sein des intérêts et du monde sensible. Ce serait fausser l’idée de la moralité que de la représenter comme immobile, incapable de progrès, étrangère à l’évolution qui agite et travaille sans cesse la nature. C’est ce que les « spiritualistes » oublient trop. Ils ont le tort de s’en tenir aux vieilles thèses sur l'immuable morale. Si la contradiction des mœurs et des notions morales ne provient pas nécessairement d’une complète absence de moralité, il faut accorder du moins qu’elle provient d’une imperfection de cette moralité. Je ne veux pas assez le bien, pourrait-on dire, lorsque je veux comme bonnes des choses