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la genèse des religions.

les vraies divinités ; ajoutons-y le tonnerre, qui lui aussi descend du ciel en « hurlant » le vent si terrible parfois, qui pourtant, dans les jours brûlants de l’été, « verse le miel » sur les hommes, et enfin la pluie, la pluie bienfaisante qu’envoie le « dieu pleuvant » Indra. Après avoir ainsi créé leurs dieux et peuplé le ciel un peu au hasard, les Hindous ne tardent pas, comme les autres peuples, à les distribuer en classes et en familles, à établir entre eux des généalogies. Quelques tentatives se font pour établir dans ce ciel, comme dans l’Olympe des Grecs, un gouvernement, une autorité suprême ; dans plusieurs hymnes, l’idée du Dieu Un, créateur et maître du monde, est clairement exprimée : c’est lui « le père qui nous a engendrés, qui connaît les lois et les mondes, l’Un en qui reposent toutes les créatures. »

Mais l’esprit hindou devait s’élever tout à la fois au dessus du polythéisme grec et du monothéisme hébreu par une évolution nouvelle : il est beau de diviniser la nature, mais il y a quelque chose de plus religieux encore : c’est de la nier. La ferme croyance en la réalité de ce monde, en la valeur de cette vie, entre peut-être comme élément essentiel dans la croyance en un dieu personnel, supérieur au monde et distinct de lui, tel que le Javeh des Hébreux. Précisément, le trait caractéristique de l’esprit hindou, c’est le scepticisme à l’égard de ce monde, la persuasion de la vanité de la nature ; le dieu hindou ne pouvait donc rien avoir de commun avec Jupiter ou Javeh. Qui ne voit dans les forces de la matière qu’un jeu des sens, ne verra dans les puissances qui sont censées diriger ces forces qu’un jeu de l’imagination ; la foi dans le ciéaleur s’en va avec la foi dans la création. C’est en vain que les poètes hindous réclament pour leurs dieux la çraddhâ, la foi. Indra surtout, le plus populaire des dieux, à qui l’on donnait l’épithète suprême de Viçarkharman (artisan universel), est le plus mis en doute. « Il n’y a pas d’Indra, disent certains. Qui l’a vu, qui louerions-nous ? » (Rig., VII, 89, 3.) Il est vrai que le poète, après ces paroles amères, fait apparaître tout à coup Indra lui-même, comme dans le livre de Job. « Me voici, ô mon adorateur ! Regarde-moi, me voici ! en grandeur je dépasse toute créature. » Mais la foi du poète et du penseur ne se ranime que pour un instant ; nous entrons dans une période de doute, que M. Max Müller désigne sous le nom d’adévisme et qu’il distingue soigneusement de l’athéisme proprement dit. Les