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II. — LE THÉISME


La plupart des gens ne voient guère d’alternative possible qu’entre telle et telle religion bien déterminée et l’athéisme résolu. C’est une étrange inconséquence. La pensée religieuse se manifeste de cent façons, pourquoi la libre-pensée se restreindrait-elle à une seule conception des choses ? J’ai connu une foule de libres-penseurs qui croyaient plus sincèrement à l’existence de Dieu, à l’immortalité de l’âme et aux principes dits spiritualistes que beaucoup de prétendus dévots. Avaient-ils raison ? Voltaire, par exemple, qui affirmait l’existence de Dieu après un lever de soleil, n’était-il pas un peu naïf et porté à prendre une émotion pour une évidence ? Peu importe ; ce que nous voulons faire ressortir en ce moment, c’est que la foi au prêtre n’est nullement liée à la foi en Dieu et que la première peut même, en disparaissant, donner tout d’abord plus de force à la seconde en lui donnant plus d’élévation. Aussi n’est-ce pas une seule doctrine philosophique qu’on doit opposer à l’ensemble des religions : ce sont toutes les doctrines philosophiques, toutes les hypothèses discutables. Nous disons à l’individu : pèse et choisis. Et parmi ces hypothèses, nous laissons la place qui lui est due à celle même dont les religions modernes sont l’expression symbolique, le théisme. Si l’anomie religieuse que nous proposons pour idéal est la suppression de toute révélation extérieure, elle n’exclut pas pour cela ceux qui croient avoir l’intuition intérieure et personnelle du divin. Il y aura place même pour les mystiques dans l’individualisme religieux de l’avenir. Il suffit toutefois de suivre le mouvement philosophique moderne pour voir que l’intuitionnisme, en métaphysique comme en morale, perd chaque jour du terrain. Le progrès des idées amènera le triomphe graduel de l’induction scientifique sur la prétendue intuition naturelle, de la probabilité sur la foi. La révélation intérieure disparaîtra comme la révélation extérieure pour laisser place, par degrés, au raisonnement. Les dogmes du théisme se dissoudront comme tout dogme ; mais l’esprit théiste pourra subsister dans ce qu’il a de plus pur.