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du progrès dans les hypothèses métaphysiques.

chaque étoile reflétée sur le lac n’était, en réalité, que le miroitement d’une goutte d’eau voisine de ma main ; chacune des lueurs du ciel était un monde séparé de moi par un infini ; les étoiles du ciel et celles du lac étaient pourtant les mêmes pour mon regard : ce que saisit le moins l’œil humain, c’est la distance réelle des choses et la profondeur vraie de l’univers. Pourtant la science corrige le regard, mesure les distances, creuse toujours davantage la voûte de la sphère céleste ; distinguant les objets de leurs reflets, elle marque à la fois la place du rayon dans l’eau et son origine dans les cieux. Peut-être un jour, au ciel de la pensée indéfiniment élargi, entreverra-t-elle le foyer primitif et lointain, le noyau central d’où sort toute lumière, et dont nous ne saisissons encore que des rayons brisés sur des surfaces, des reflets renvoyés par les objets les plus proches de nous, des scintillements fuyants sur un miroir qui tremble.


Depuis les Stoïciens et Kant il s’est produit une sorte d’orientation nouvelle de toutes les hypothèses métaphysiques. Ce qui constitue aujourd’hui le plus grand attrait de ces hypothèses, c’est qu’elles tentent de donner un sens moral au monde, d’imprimer à l’évolution universelle une direction qui soit conforme à celle de notre conscience d’êtres sociaux et aimants. L’histoire future des religions se résume dans cette loi, que les dogmes religieux, transformés d’abord en simples conjectures métaphysiques, réduits plus tard à un certain nombre d’hypothèses définies entre lesquelles chaque individu fera un choix toujours plus raisonné, en viendront enfin à porter principalement sur le problème moral : la métaphysique religieuse finira par être surtout une morale transcendante, une sociologie idéale embrassant tous les êtres qui constituent l’univers. — Et cette sociologie ne sera plus fondée sur des inductions physiques, comme celle des premières religions, ou ontologiques, comme celle des premières métaphysiques, mais sur des inductions tirées de la conscience morale. Toutes les antiques notions de l’animisme, du théisme, du panthéisme, seront dominées par ce que l’on pourrait appeler le moralisme.

Les solutions diverses qu’on peut donner du problème moral étendu ainsi au monde passionneront toujours davantage la pensée spéculative de l’homme, mais elles pourront ne pas préoccuper au même degré sa pensée pratique ;