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la religion et l’irréligion chez la femme.

lesquels la femme se place habituellement pour regarder dans la rue ne la protègent pas seulement contre la lumière ou la pluie : son âme comme son teint garde toujours quelque chose de la blancheur native.

La plupart du temps, en France, la femme qui se marie est encore une enfant ; c’est de plus une enfant portée à un certain respect craintif pour l’homme auquel la volonté de ses parents ou la sienne vient de la joindre. Aussi, dans les premiers temps du mariage l’homme peut, s’il le veut, avoir une influence décisive sur sa femme, pétrir suivant son désir ce jeune cerveau non encore parvenu à son plein développement, façonner cette intelligence presque aussi vierge que le corps. S’il attend, s’il temporise, il sera bien tard, — d’autant plus tard que la femme doit un jour reprendre sur son mari toute l’influence que ce dernier a pu avoir sur elle aux premiers jours. La femme, lorsqu’elle connaît pleinement la force de sa séduction, devient presque toujours la dominatrice dans le ménage ; si le mari ne l’a pas formée, si elle est restée avec tous les préjugés et toute l’ignorance de l’enfant, — souvent de l’enfant gâtée, — c’est elle qui un jour déformera le mari, le forcera à tolérer d’abord, puis à accepter de compte à demi ses croyances et ses enfantines erreurs ; peut-être un jour, profitant de l’abaissement de son intelligence avec l’âge, elle le convertira, arrêtant du même coup toute sa génération dans la voie du progrès intellectuel. Les prêtres comptent bien sur cette domination future et sans appel de la femme ; mais ce qu’ils ne sauraient empêcher, si le mari en a la volonté et la force, c’est la primitive influence qu’il peut exercer : une fois façonnée par lui, la femme ne pourra plus tard que lui renvoyer pour ainsi dire sa propre image, ses propres idées, et les projeter dans sa génération, dans l’avenir ouvert.

Le libre-penseur se trouve, il est vrai, dans une situation très inégale par rapport au croyant ou à la croyante qu’il s’efforce de convertir : un croyant peut toujours refuser de raisonner ; toutes les fois qu’un duel intellectuel lui semble désavantageux, il refuse de combattre. Aussi beaucoup d’indulgente ténacité et de prudence sont-elles nécessaires à l’égard de celui ou de celle qui se dérobe ainsi à la moindre alerte. Que faire en face d’un parti pris doux et obstiné de ne pas répondre, de se retrancher dans son ignorance, délaisser glisser les arguments sans en être entamé ? — Il me semblait, a écrit un romancier russe, que toutes