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dissolution des religions.

Puis, d’ailleurs, qu’est-ce que la science sans l’art ? On a trouvé depuis longtemps les rapports les plus intimes entre les facultés du savant et celles de l’artiste[1]. Or l’art pourrait-il subsister sans l’amour ? Ici l’amour devient la trame même de la pensée. Qu’est-ce que composer des vers ou de la musique, peindre ou sculpter, si ce n’est penser l’amour de différentes manières et sous ses diverses formes ? Quoi qu’en puissent dire les défenseurs plus ou moins convaincus de l’esprit monastique et de la religiosité mystique, l’amour, vieux comme le monde, n’est pas prêt de le quitter ; et c’est encore dans les plus grands cœurs doublés des plus hautes intelligences qu’il éclatera toujours le plus sûrement, « Faiblesse humaine », dira-t-on ; non, mais ressort et force. Si l’amour est la science de l’ignorant, il ne sera jamais étranger à la science du savant : Éros, de tous les dieux, est celui dont Prométhée peut le moins se passer, car c’est de lui qu’il tient la flamme. Ce dieu éternel survivra, dans tous les cœurs et surtout dans le cœur de la femme, à toutes les religions.

Nous pouvons conclure de ce qui précède que les tendances caractéristiques de la femme peuvent être tournées au profit de la vérité, de la science, de la libre-pensée, de la fraternité sociale. Tout dépendra d’ailleurs de l’éducation qui lui sera donnée, puis de l’influence que l’homme qu’elle aura choisi pour époux saura prendre sur elle. Il faut agir sur la femme dès l’enfance. La vie d’une femme a plus d’ordre et de continuité que celle d’un homme ; à cause de cela la force des habitudes d’enfance est plus grande. La vie féminine ne présente qu’une seule grande révolution, le mariage. Il est même des femmes pour qui cette révolution n’existe pas ; il en est d’autres pour lesquelles elle est beaucoup atténuée (si par exemple le mari a la même façon de vivre, les mêmes croyances que le père et la mère). Dans un milieu tranquille comme la plupart des existences féminines, l’influence de l’éducation première peut donc se propager sans obstacle : on peut retrouver en elles sans grande altération, après des années, le petit nombre d’idées religieuses ou philosophiques qu’on y a mises. Le foyer est un abri, une sorte de serre chaude où croissent des plantes parfois impropres au grand air. La vitre et le rideau de mousseline derrière

  1. Voir nos Problèmes de l’esthétique contemporaine, livre II.