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dissolution des religions.

présence du catholicisme et luttant avec lui à armes égales, ne pourrait pas ne pas l’emporter assez vite : le pot de fer aurait bientôt fait de briser le pot de terre. Les partisans du protestantisme invoquent l’bistoire : le protestantisme a été vaincu chez nous par la force, non par la persuasion ; sa défaite n’est donc pas nécessairement définitive. Partout où le catholicisme n’a pas eu pour se maintenir la violence, la persécution et le crime, il a toujours succombé ; il n’a eu raison qu’à condition de tuer ses contradicteurs. Aujourd’hui qu’il a perdu ce moyen commode d’avoir raison, il est condamné pourvu qu’on l’attaque. Il renferme d’ailleurs un vice essentiel, irrémédiable : la confession. Par la confession il a su s’attirer l’hostilité ouverte ou secrète de tous les maris et de tous les pères, qui voient le prêtre s’interposer entre eux et leurs femmes, entre eux et leurs enfants. Le confesseur est comme un membre surnuméraire dans toute famille, un membre qui n’a ni les mêmes intérêts ni les mêmes idées et qui, cependant, n’ignore rien de ce que font les autres, peut par mille moyens contrarier leurs projets et, au moment où ils s’y attendent le moins, se mettre en travers de leur chemin. Si on tient compte de cet état de guerre sourde qui existe souvent entre l’homme marié et le prêtre catholique, si on analyse toutes les autres causes de dissolution qui travaillent le catholicisme, si on songe par exemple que le dogme de l’infaillibilité est impossible à admettre sérieusement pour toutes les personnes dont la conscience n’est pas absolument faussée, on conviendra que le projet de « protestantiser » la France, si étrange au premier abord, est cependant digne d’examen.

Aussi n’est-il pas étonnant qu’il ait séduit beaucoup de personnes et provoqué un certain mouvement intellectuel, Michelet et Quinet eussent voulu que la France se fît protestante au moins « transitoirement. » En 1843, dans un voyage à Genève, Michelet discuta avec des pasteurs sur les moyens d’accélérer en France les progrès du protestantisme et de créer une église vraiment nationale. Deux hommes dont le nom est connu de tous ceux qui s’occupent de pliilosophie ou de science sociale. MM. Renouvier et de Laveleye, sont parmi les promoteurs de ce mouvement. Des libres penseurs convaincus, comme M. Louis Ménard, y acquiescent, en se réclamant de Turgot et de Quinet ; M. Pillon a également soutenu ce projet. Plusieurs pasteurs protestants y ont consacre toute leur acti-