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le génie, créateur d’un nouveau milieu social.

et harmonie, le génie partiel est ou puissance ou harmonie.

Ceci posé, quelles sont les causes du génie ? Peut-on les trouver toutes dans le milieu physique et social ? — Non, les causes cénérales tenant au milieu extérieur ne sont que des conditions préalables ; l’apparition du génie est due à la rencontre heureuse d’une multitude de causes dans la génération même et dans le développement de l’embryon. Le génie est vraiment l’accident heureux de Darwin. On sait que Darwin explique l’origine des espèces par un accident dans la génération individuelle qui s’est produit en un sens favorable aux conditions de la vie ; la modification accidentelle s’est fixée ensuite par l’hérédité, est devenue générale, spécifique : de là l’espèce biologique. Selon nous, le génie est une modification accidentelle des facultés et de leurs organes dans un sens favorable à la nouveauté et à l’invention de choses nouvelles ; une fois produit, cet accident heureux n’aboutit pas à une transmission héréditaire et physique, mais il introduit dans le monde des idées ou des sentiments, des types nouveaux. Il modifie donc le milieu social et intellectuel préexistant, il n’est pas lui-même le pur et simple produit du milieu. Le propre du talent médiocre, c’est d’être une résultante dont on peut retrouver et reconnaître tous les chiffres en étudiant le milieu et le caractère extérieur d’un auteur, tel qu’il s’est déroulé dans la vie ; le propre du génie, au contraire, c’est de renfermer comme chiffres essentiels des inconnues irréductibles. Nous ne voulons pas dire que la formation du génie n’obéisse pas au fond à des lois scientifiques parfaitement fixes ; il n’y a rien sans doute dans le génie qui ne puisse s’expliquer par la génération, par l’hérédité, enfin par l’éducation et le milieu, à moins qu’on n’admette l’hypothèse scientifiquement étrange du libre arbitre dans le génie. Mais le génie est caractérisé par la dérogation apparente à ces lois, c’est-à-dire par des conséquences de ces lois assez complexes et par des influences assez croisées pour amener des semblants d’exceptions, des semblants de contradictions. Tandis que tous les individus faits sur un commun patron nous présentent un esprit à trame régulière, dont on peut compter les fils, le génie est un écheveau brouillé, et les efforts du critique pour débrouiller cet écheveau n’aboutissent en général qu’à des résultats tout à fait super-