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le rythme.

Oh ! maintenant, mon Dieu, qui lui rendra la vie ?
Du plus pur de ton sang tu l’avais rajeunie ;
Jésus, ce que tu lis, qui jamais le fera ?
Nous, vieillards nés d’hier, qui nous rajeunira ?
Nous sommes aussi vieux qu’au jour de ta naissance ;
Nous attendons autant, nous avons plus perdu :
Plus livide et plus froid, dans son cercueil immense,
Pour la seconde fois Lazare est descendu.
Où donc est le Sauveur, pour entr’ouvrir nos tombes ?
Où donc le vieux saint Paul, haranguant les Romains,
Suspendant tout un peuple à ses haillons divins ?
Où donc est le cénacle, où donc les catacombes ?
Avec qui marche donc l’auréole de feu ?
Sur quels pieds tombez-vous, parfums de Madeleine ?
Où donc vibre dans l’air une voix plus qu’humaine ?
Qui de nous, qui de nous va devenir un Dieu ?


Il n’y a peut-être pas, dans cette page, trois rimes qui attirent l’attention ; beaucoup sont à peine suffisantes (sans consonne d’appui), pas une n’est riche ; l’esprit n’est frappé que par la série de pensées et d’images qui remplissent les vers, par le mouvement et le rythme qui entraînent le tout comme un flot. En lisant ou écoutant, vous ètes-vous aperçu que Romains rime avec divins, Madeleine avec humaine, rajeunie avec vie ? Maintenant voici une page souvent citée de Leconte de Lisle, oùvec une désespérante monotonie et n’acquièrent du mouvement que dans les réminiscences mêmes de Musset :


Plus de charbon ardent sur la lèvre prophète !
Adonai, les vents ont emporté ta voix,
Et le Nazaréen, pâle et baissant la tête,
Pousse un cri de détresse une dernière fois.

Figure aux cheveux roux, d’ombre et de paix voilée,
Errante au bord des lacs, sous ton nimbe de feu.
Salut ! l’humanité dans ta tombe scellée,
Ô jeune Essénien, garde son dernier Dieu…

Mais nous, nous consumés d’une impossible envie,
En proie au mal de croire et d’aimer sans retour.
Répondez, jours nouveaux ! nous rendrez-vous la vie ?
Dites, ô jours anciens ! nous rendrez-vous l’amour ?

Où sont nos lyres d’or, d’hyacinthe fleuries,
Et l’hymne aux Dieux heureux, et les vierges en chœur,
Eleusis et Délos, les jeunes théories,
Et les poèmes saints qui jaillissent du cœur ?…