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l’art au point de vue sociologique.

quelque part de l’infidélité des traductions d’opéras. La magnifique cantilène de Faust, Salut, demeure chaste et pure, traduite en italien, devient : Salve, climora casta e pura ; et Gounod remarque que, dans cette sonorité italienne, la douceur profonde de sa musique disparaît : ces voyelles un peu sourdes et discrètes du vers français, « Salut, demeure chaste et pure », qui expriment à la fois le mystère de la nuit et le mystère de Tamour, font place à des voyelles éclatantes, à des a ouverts, à des o et à des ou arrondis, et les mots éclatent comme des fanfares : « Salve, dimora casta e pura. » Là où le chanteur français peut mettre toute l’expression de l’âme, le chanteur italien est presque obligé de déclamer : le poétique cède la place à l’oratoire. Il y a là une leçon donnée par un grand musicien et dont nos versificateurs pourraient profiter : la rime riche revenant sans cesse et coûte que coûte, c’est le Dimora casta e pura, c’est l’exclusion des demi-teintes et des nuances, c’est la lumière toujours crue, c’est la parole toujours gonflée et la bouche toujours arrondie : ore rotundo.

M. de Banville, on s’en souvient, pose cet axiome : « On n’entend dans un vers que le mot qui est à la rime. » Le paradoxe est ingénieux ; mais, pour ne citer qu’un exemple, dans le retour de Jocelyn que son chien accueille, il est difficile de n’entendre que les mots à la rime :


« Ô pauvre et seul ami, viens, lui dis-je, aimons-nous !
Partout où le ciel mit deux cœurs, s’aimer est doux ! »


Malgré l’effet du mot aimons-nous dans le premier vers, il est clair que l’impression qui émeut vient de tout ce que les vers contiennent de mots et de sentiments. Ce qui est vrai, c’est que la rime finale est un moyen de mettre en relief un mot, par conséquent, une image ou une idée.

S’il était vrai que l’on entend seulement le mot à la rime, on pourrait ne lire des poètes que les derniers mots de chaque vers. C’est ainsi que Lamartine, pour se moquer des volumes de sonnets, où chaque pièce, selon l’usage, vient se condenser dans le vers final, disait qu’il était plus court de ne lire que le dernier vers de chacune :